Le cinéroman de notre Bebel national
Le Guignolo (1980)
Dans Le Guignolo, les personnages ont des noms insensés. J’ai recensé des patronymes qui à, eux seuls, méritent de revoir ce film. Par ordre d’apparition, j’annonce : Alexandre Dupré, Alexandre de Vallombreuse, Achille Sureau, Colonel Donadieu, Helmut von Offenburg, Sophie Chaperon, Pamela Eagleton-George. Sublime. Un dernier pour la route : Abdel Fahrad, improbable espion arabe joué par un Charles Gérard qui s’est « rasé » la tête pour l’occasion. Incroyable, débile, grandiose, la commedia dell’arte filmée par Lautner dans une Venise crépusculaire. Que sont devenues les deux actrices Mirella d’Angelo et Carla Romanelli ? En 1980, Belmondo était déjà un habitué des évasions, des sorties ou des arrivées en hélicoptère.
La mode des hélicoptères a complètement disparu. Les scénaristes gagnaient toujours quelques minutes sur le film. De l’action vite torchée. Aujourd’hui, les hélicoptères ne font plus rêver les spectateurs. Dans la série « Magnum », Terry pilotait un hélico… Carla Romanelli apparaît seulement vêtue d’une nuisette. Quelle actrice accepterait aujourd’hui de jouer uniquement en déshabillé et vieilles dentelles ? Le cinéma français a toujours été indulgent avec les Italiennes. Ce sont toujours de pulpeuses brunes, les yeux sombres, le décolleté généreux, elles sont une invitation perpétuelle à l’amour. En 1980, Pino d’Angio enflammait les pistes de danse avec Ma Quale Idea. Quelle idée ai-je eu de tomber amoureux de Julia ? Dans la réalité, je suis allé avec mes parents en Italie en 1983. Les Italiennes sont apathiques, intéressées et souvent boudinées. De toute façon, cette année-là, je partageais la chambre d’hôtel de mes parents.
Les Morfalous (1984)
Je suis allé voir Les Morfalous au printemps 1984, la première semaine de sa sortie nationale, dans un sinistre cinéma, dans une lugubre ville de préfecture, sous une pluie battante. Mes parents venaient de divorcer. Je n’ai pas beaucoup ri, la critique non plus. J’étais triste et perdu. En avouant mon infidélité à Julia, j’étais aussi dans mes petits souliers.
Docteur Popaul (1972)
Étudiant en médecine, Paul Simay (Belmondo au bistouri) organise un jeu-concours avec ses camarades carabins, celui qui couche avec la plus laide empoche la mise. À force de lire la presse féminine, les moches ont perdu le sens des réalités. Elles imaginent avoir droit au bonheur.
Julia ne supporte plus ma misogynie rampante, elle ne supporte plus grand-chose d’ailleurs chez moi. Il est agaçant aussi ce Belmondo à toujours se taper les plus belles filles de la Terre. Chabrol l’a bien calmé en le jetant dans les bras de Mia Farrow, tête de musaraigne affolée aux dents de lapin. Mais, Chabrol n’est pas un mauvais bougre, il l’aime bien son Belmondo, il tient à sa réputation, à la fin, il le laisse quand même repartir au bras de Laura Antonelli.
Stavisky (1974)
Les mauvais journalistes font toujours référence à Stavisky pour adoucir leur jugement sur Belmondo. Il a quand même fait Stavisky de Resnais. Il est excusé. Faute avouée, à moitié pardonnée me suis-je risqué en guise de défense pathétique. Acculé, j’ai sorti la première banalité. Julia prétend qu’en matière d’excuses, je suis aussi déplorable qu’en fidélité. Après Stavisky, les cinéphiles avertis en oublieraient presque les daubes des années 80. Magnanimes, ils lui évitent la peine capitale. Évidemment que Belmondo est capable de tout jouer, d’où ils sortent ces corniauds, il peut incarner Napoléon, César, Jean de Florette, Navarro ou Julie Lescaut sur une jambe de bois, les mains attachées dans le dos. Son talent n’a pas attendu Resnais pour nous éclabousser. Sublime dans la nuance, les doutes, la maladie d’un homme mythomane, Belmondo remonte dans l’estime des intellos.
Si Le Corps de mon ennemi m’a appris le jeté d’imper sur l’épaule, Stavisky a favorisé l’usage de l’écharpe blanche dans les conseils municipaux et les assemblées générales, notamment chez les élus socialistes. Et là, soulignons que cet accessoire est à manier avec une grande précision comme la dissolution ou le 49-3. À ne pas mettre entre toutes les mains. L’écharpe blanche peut s’imaginer dans la France des années 30. Au début des années 90, j’ai été refusé à l’entrée d’une boîte de nuit de campagne. Les ruraux sont sourcilleux sur l’étiquette. Depuis, je ne porte plus d’écharpe. Au générique de Stavisky figure Anny Duperey. La première fois que j’ai croisé le regard d’Anny, je feuilletais un vieux numéro de Lui que mon père m’avait laissé compulser. Anny était complètement nue. Les petits seins avaient la préférence des magazines de charme dans les années 1970. Et puis, j’ai revu Anny à la télévision dans le rôle d’une mère de famille hystérique ou d’une sous-préfète mariée à Guy Bedos. Je n’invente rien. Anny était belle dans Stavisky. Je n’oublie pas ses longues jambes se déplier d’une Hispano-Suiza sur la plage de Biarritz. Avec Julia, nous avions passé une nuit de Chine, nuit câline, à l’Hôtel du Palais sous la protection du Rocher de la Vierge. Je n’ai toujours rien compris à cette histoire de faux bons de caisse au Crédit Municipal de Bayonne. D’ailleurs, je n’aime pas la plage de Bayonne et les constructions modernes qui la longent.
Week-end à Zuydcoote (1964)
Dans Week-end à Zuydcoote, comme dans La Ciociora, il y a une scène de viol. Dans Week-end à Zuydcoote, il y a aussi Pierre Mondy. Dans La 7e Compagnie de Robert Lamoureux, à ma connaissance, il n’y a pas de scène de viol.
Cent Mille Dollars au soleil (1964)
La dernière fois que j’ai visionné Cent Mille Dollars au soleil, je faisais mon service militaire, j’avais vingt-quatre ans, je n’ai jamais été en avance. À bientôt quarante-et-un ans, je ne suis toujours pas marié et refuse la paternité.
J’avais été réquisitionné pour faire une sorte de permanence, de halte-garderie, une semaine dans une enceinte militaire, au cœur de la capitale. Chaque soir, je fermais les portes, vérifiais l’étendard du régiment et me calfeutrais dans ma piaule composée d’un lit et d’un moniteur perché sur une armoire métallique. L’armée se modernisait. Autoriser un appelé à regarder la télévision participait au rajeunissement de cette institution en voie de professionnalisation. Vous comprenez pourquoi nous avions perdu tant de guerres. J’avais amené, dans mon paquetage, quelques romans de Léo Malet, Jacques Perret et Michel Mohrt ainsi que trois cassettes VHS : Cent Mille Dollars au soleil, Garde à vue et Mélodie en sous-sol. Quand vous n’avez pas le moral, comme c’était mon cas dans cette chambre de misère, à six mois de la quille, Cent Mille Dollars au soleil met du baume au cœur, un peu d’espoir dans l’enfer du devoir. Ventura, l’œil grondeur, la tête baissée, toujours prompt à vous décrocher une mandale. Lino, c’est un peu l’oncle que tous les enfants voudraient avoir. Les types qui ont les épaules larges, la voix qui porte et des cravates en tricot touchent toujours plus que les autres. Et puis, Ventura économise ses mots, sa salive. Il a le débit lent des personnes qui réfléchissent avant de parler.
C’est tellement rare de nos jours. Julia s’indigne de mon mutisme vintage usant d’un néologisme dont elle est coutumière. Ventura chausse de magnifiques pompes de maquereau dans le désert pour conduire un camion Berliet. Une paire de richelieu bicolore noire et blanche que seuls les présidents africains ou hauts fonctionnaires dessalés ont le courage d’arborer.
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Retrouvez l’intégralité de « Belmondo & Moi » en version numérique sur le site Nouvelles Lectures
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