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Belgique: de futures enseignantes voilées… au nom de l’intérêt général!


Belgique: de futures enseignantes voilées… au nom de l’intérêt général!
Julien Nicaise, l’administrateur général de Wallonie Bruxelles Enseignement a autorisé des étudiantes voilées à suivre une formation pour devenir enseignantes © ERIC LALMAND/Belga/Sipa USA/SIPA Numéro de reportage: SIPAUSA30203740_000002.

Dès la rentrée scolaire de septembre 2021, les étudiantes qui se destinent au métier d’enseignantes pourront suivre les cours voilées. Au nom de l’inclusion et de l’intérêt général!


L’idéologie intersectionnelle, de toute évidence, progresse à pas de géants: ce n’est plus le voile qui discrimine les femmes musulmanes, mais l’école qui les exclut en leur demandant de l’ôter ! Et il n’y a aucune raison pour que ce véritable rouleau compresseur s’arrête en si bonne voie.

Neutralité de l’enseignement chez nos voisins du nord

En Belgique francophone, l’enseignement officiel n’est pas laïque, mais neutre. Cette neutralité, définie par décret, concerne l’ensemble de l’enseignement obligatoire et impose aux enseignants la mise à distance de leurs convictions personnelles, qu’elles soient politiques ou religieuses. Bien que ce ne soit nulle part exprimé clairement, c’est de cette exigence de ne pas témoigner de leur préférence pour un système politique ou religieux que découle l’interdiction, pour les enseignants, d’afficher les signes extérieurs de leurs convictions. Les textes légaux ne disent rien, en revanche, de ce qu’il en est des élèves, dont on attend seulement qu’ils ne s’adonnent à aucun acte de prosélytisme.

En trente ans, aucun ministre compétent n’a jamais osé prendre une position générale et de principe concernant le caractère fondamentalement prosélyte du voile, et c’est donc le règlement d’ordre intérieur qui précise si les élèves peuvent ou non afficher des signes convictionnels. Vu les nombreux problèmes que cela posait sur le terrain, les écoles en sont progressivement venues à les interdire dans 95% des cas.

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Mais la décision qui vient de tomber concerne quant à elle l’enseignement supérieur organisé par WBE (Wallonie Bruxelles Enseignement), autrement dit l’enseignement officiel organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et elle sonne comme une douche glacée après l’avis de la Cour Constitutionnelle qui, en juin dernier, avait estimé que l’interdiction des signes convictionnels dans les Hautes Écoles était légitime[tooltips content= »https://o-re-la.ulb.be/index.php/analyses/item/3272-signes-convictionnels-l-interdiction-est-legitime-dit-la-cour-constitutionnelle »](1)[/tooltips].

La Cour Constitutionnelle avait en effet été saisie par plusieurs jeunes femmes de confession musulmane qui s’estimaient discriminées par l’interdiction du port du voile dans une Haute École de la Ville de Bruxelles – qui appartient au réseau officiel subventionné, c’est-à-dire le réseau des écoles qui ne sont pas gérées directement par l’entité fédérée elle-même, mais une de ses composantes: commune, ville ou province par exemple. Et la conclusion de la Cour Constitutionnelle avait été que l’instance compétente pour un établissement d’enseignement – à savoir son pouvoir organisateur – était la mieux placée pour juger s’il fallait ou non interdire les signes convictionnels, dans le but de répondre au besoin social impérieux de mettre en œuvre la neutralité sous-tendue par le projet pédagogique, et qu’en tout état de cause cette interdiction n’était pas incompatible avec la conception constitutionnelle de ladite neutralité, ni contraire à la liberté de religion ou à la liberté d’enseignement.

Signal très clair et peu rassurant

Or, s’il y a bien un type d’enseignement supérieur dans lequel l’interdiction des signes convictionnels pouvait se justifier, et d’ailleurs se pratiquait très généralement au sein du réseau officiel, c’était la filière pédagogique. Il semblait aller de soi, en effet, qu’une filière professionnalisante comme celle-là, dont la mission était de former de futurs enseignants qui seraient soumis demain à une obligation de neutralité, exige des étudiants qu’ils développent déjà les compétences attendues en la matière, en commençant par le plus simple : enlever leurs éventuels signes convictionnels dans l’enceinte de l’école, le temps de leur apprentissage.

À l’heure où la valorisation des compétences supplante de plus en plus celle des connaissances, comment pouvait-on en effet imaginer priver les formateurs de futurs enseignants d’une possibilité d’évaluer les compétences en matière de neutralité de leurs étudiants ? Car s’il est évident que la neutralité ne se réduit pas à ôter ses signes convictionnels, il est tout aussi évident que l’étudiant qui refuserait – ou ne verrait pas la nécessité – d’ôter ses signes convictionnels enverrait un signal très clair et peu rassurant concernant sa disposition future à « s’abstenir de témoigner en faveur d’un système religieux ».

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Ce n’est pourtant pas le raisonnement qu’a suivi WBE, qui vient d’annoncer sa décision d’autoriser dorénavant le voile dans toutes les Hautes Écoles qui relèvent de sa compétence.

Désormais, c’est l’interdiction qui sera l’exception, et le fait de se destiner à la profession d’enseignant ne fait manifestement pas partie des exceptions… Nous aurons donc dès demain, dans nos classes, à enseigner le métier d’enseignant à des jeunes femmes qui porteront sur elles le signe de leur soumission à la loi religieuse. Une décision que l’administrateur général de WBE, Julien Nicaise, justifie ainsi : « L’intérêt général doit primer. Nous ne pouvons plus refuser ces jeunes femmes sous prétexte qu’elles portent un voile, les empêcher de faire des études. Un diplôme, c’est leur passeport pour une inclusion par l’emploi ».

L’hypocrisie de l’argument de l’inclusion par l’emploi

Comment ne pas voir le tour de passe-passe grossier, mais néanmoins commun, par lequel demander à des étudiantes de se soumettre à un règlement commun rationnellement fondé revient à les empêcher de faire des études ? Considèrera-t-on demain qu’interdire aux étudiants de fumer dans l’enceinte de l’école revient à exclure les fumeurs ?

La réponse va de soi : évidemment non, dès lors que fumer n’a rien de religieux. Mais avouons tout de suite, dans ce cas, que la loi religieuse est de facto considérée comme supérieure à la loi civile. Quant à l’inclusion par l’emploi, comment ne pas voir ce que cet argument a d’éminemment dangereux ? Car à suivre cette logique, c’est bientôt toute interdiction des signes religieux dans quelque domaine professionnel que ce soit qui sera jugée illégitime au nom de l’ « inclusion par l’emploi ».

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Car si ces jeunes femmes voilées estiment que leur voile est une obligation religieuse majeure, à laquelle rien ne saurait légitimement faire obstacle, elles demanderont bientôt à pouvoir faire leurs stages dans des écoles qui autorisent le port du voile à leurs enseignantes – et il en existe en Belgique, à commencer par les écoles islamiques. Pourra-t-on le leur refuser sans que l’on nous objecte, une fois de plus, que leur diplôme, « c’est leur passeport pour une inclusion par l’emploi » ? Et selon la même logique de l’inclusion par l’emploi, elles revendiqueront demain le droit d’enseigner avec leur voile – qu’il est déjà de bon ton, dans les milieux dits progressistes, de nommer « foulard » : c’est plus joli, plus inclusif… – car quelle violence symbolique ce serait, n’est-ce pas, de leur interdire d’enseigner dès lors qu’elles sont titulaires d’un diplôme qui atteste de leurs compétences et que l’emploi, comme chacun sait, est un facteur essentiel d’inclusion ?

Les femmes, cheval de Troie de l’islam politique

Et c’est ainsi, en suivant cette même logique, que nous aurons demain, outre des enseignantes, des policières et des juges voilées. Car toute interdiction sera devenue illégitime puisque « excluante ». Au mépris de la conception républicaine de l’égalité qui est à mes yeux la seule à même d’ériger un garde-fou efficace contre les fondamentalismes religieux en général et contre l’islam politique en particulier, qui se sert des femmes comme cheval de Troie, pendant que nous dissertons doctement sur l’écriture inclusive et l’oppression patriarcale qu’incarne le mâle blanc hétérosexuel.

Quant à l’intérêt général invoqué par l’administrateur général de WBE, il est permis de se demander s’il n’y a pas confusion entre l’intérêt particulier de certain(e)s et un quelconque intérêt général. Le poids de l’obscurantisme religieux est déjà bien réel aujourd’hui dans l’enseignement supérieur pédagogique : contestations de la théorie de l’évolution, relativisme culturel, et évidemment, extrêmes difficultés, pour de trop nombreux étudiants, à accepter que l’on puisse prendre fait et cause pour Charlie Hebdo dès lors qu’il offense la sensibilité religieuse de certains. Ce n’est certainement pas en autorisant le voile que nous lutterons efficacement contre la banalisation de l’obscurantisme au nom de la « tolérance », tolérance qui, de plus en plus, vaut infiniment plus pour les bigots et autres idiots utiles de l’islam politique que pour les laïques universalistes, classiquement assimilés à de vilains islamophobes. Comme l’écrivait à mon sujet un ancien étudiant, le surlendemain de la décapitation de Samuel Paty, je ne devrais pas pouvoir enseigner. Et je crains que l’évolution des choses lui donne raison.

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Agrégée en philosophie, essayiste, chroniqueuse dans "Marianne", directrice de collection à la Renaissance du Livre. Prix international de la Laïcité 2019.

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