Certes, elle était bien sympathique, cette « révolution des frites » organisée par un quarteron d’étudiants belges, flamands et francophones pour protester contre l’absence persistante de gouvernement fédéral deux cent cinquante jours après les élections législatives. Mais peut-on affirmer, à l’instar de l’ami Jérôme Leroy qu’en Belgique : « la jeunesse a démenti avec humour les prévisions séparatistes, rattachistes, micronationalistes ou évaporationnistes en lançant la « révolution des frites », reprenant un symbole gastronomique national ». La jeunesse ? Tout au plus un petit millier d’étudiants se sont mobilisés à la suite de cet appel, principalement à Bruxelles, où la fibre « belgicaine » de la bourgeoisie francophone, petite est grande est largement plus solide qu’en Wallonie. Leurs alliés flamands se trouvent, comme par hasard, dans les amphis de la VUB (Université libre de Bruxelles, section néerlandophone) où se retrouvent profs et étudiants marqués à gauche, issus des milieux cultureux et bobos flamands fréquentant les estaminets de la rue Adrien Dansaert.
Cela fait-il un peuple ? Cela suffit-il pour effacer du réel belge le constat de l’avocat et député wallon Jules Destrée dans sa fameuse « Lettre au Roi » d’août 1912, dont l’évidence n’a pas été démentie un siècle plus tard : « Et maintenant que me voilà introduit auprès de Vous, grâce à cette sorte de confession, laissez-moi Vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : Sire (…) Vous régnez sur deux peuples. Il y a en Belgique, des Wallons et des Flamands ; il n’y a pas de Belges ». Le seul reproche que l’on peut faire à cette adresse est de passer sous silence l’existence de quelques dizaines de milliers de Belges germanophones dont la discrétion dans le conflit communautaire a garanti la tranquillité et la prospérité. La vigilance de puissances, le poids de l’église catholique et l’enrichissement général lié à la révolution industrielle et à l’exploitation du Congo avaient contribué à donner l’illusion que la Belgique était une nation d’évidence. Son lent, mais inéluctable, délitement depuis les années soixante du siècle dernier arrive aujourd’hui à son terme.
A moins d’être un tenant attardé de la théorie des avant-gardes guidant le peuple vers une lumière qu’il n’est pas en mesure d’apercevoir du fond de son aliénation, ce monôme, organisé par quelques étudiants d’outre-Quiévrain en mal de « guindaille » ne saurait être présenté comme une révolution en marche.
On n’entend pas gronder la colère populaire dans le Hainaut profond, du côté des friches industrielles du Borinage, ni dans la Flandre industrieuse où l’on se soucie, de Anvers à Hasselt, davantage de la compétitivité de l’économie provinciale que du destin d’un royaume issu d’un compromis obsolète…
On pourrait croire à cette levée en masse d’un peuple belge pour le maintien de la Belgique, si la manif remarquablement vendue aux médias par quelques étudiants malins s’était prolongée par une présence régulière d’un foule bilingue sur la Grand Place de Bruxelles, exigeant la perpétuation du pays de Rubens, Magritte et Monsieur Beulemans.
Or, il faut bien constater qu’il n’en est rien, et que le roi des Belges ne sera pas conforté sur son trône par un mouvement populaire suffisamment puissant pour faire pièce à l’irrésistible ascension d’un nationalisme flamand géré de main de maître par Bart de Wever. Il ya même fort à parier que si ce pauvre Albert II venait à passer ad patres, son héritier, Philippe, haï des Flamands, irait rejoindre rapidement la cohorte des familles royales sans royaume…
Enfin, cher Jérôme Leroy, il est toujours mal venu de parler de corde dans la maison d’un pendu, et de « pays réel versus pays légal » à propos du pays de l’inventeur de cette formule. Il s’appelle Léon Degrelle, le Doriot wallon, qui parvint, lui, à échapper à la mort au combat ou au juste châtiment pour mourir de vieillesse en Espagne en 1994.
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