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Cyberharcèlement: une journaliste belge se victimise dans un roman

... mais se prend les pieds dans le tapis


Cyberharcèlement: une journaliste belge se victimise dans un roman
Riala (pixabay.com)

A une époque où nous sommes moralement obligés de croire une femme qui se plaint de viol sans preuves 42 ans après les faits, pourquoi ne pas triturer sa propre histoire et devenir une égérie de la lutte contre le sexisme en publiant un roman agrémenté d’une plainte judiciaire ? La lance peut cependant se retourner contre l’arroseuse.


Une fiction n’est qu’une fiction, mais lorsqu’elle incite à poursuivre quelqu’un en justice, il faut supposer qu’elle est fondée sur des faits réels. C’est ainsi que le secrétaire général de la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ) a publié sur Twitter un appel à « la Justice belge à renvoyer en correctionnelle le harceleur de la journaliste » Myriam Leroy, à l’occasion de la publication de son roman Les Yeux Rouges (Editions du Seuil, septembre 2019). Selon un article du Vif (26/9/2019) le roman de Myriam Leroy se rapporte à la plainte qu’elle a déposée en mars 2017 contre un homme qui la harcelait sur le net. A l’appui de cette plainte, neuf chroniques caustiques publiées entre 2012 et 2014 sur le blog personnel de celui qu’elle nomme Denis dans le livre, plus cinq tweets et cinq posts Facebook datant de 2013 à 2016.

Oreilles décollées

Myriam Leroy se plaint également d’un message obscène anonyme posté en décembre 2016 sur le site de La Première (RTBF), évoquant ses « oreilles décollées ». Elle reconnaît là une « obsession » de Denis qui a cité ce détail dans un de ses posts.

Tout ceci l’a affectée au point de souffrir de dépression anxieuse, de symptômes psycho-somatiques et d’un syndrome de stress post-traumatique attestés par certificat. Son roman décrit une « errance médicale » haute en couleur entre médecins allergologues, ophtalmologues, homéopathes, kinésiologues et guérisseurs : « le docteur Suarez, l’homéopathe avec son lait de dauphin, la diva des urgences, l’autre bohémienne avec son tuyau dans le cul, tous ces charlatans qui se nourrissent à la mamelle de la détresse humaine ».

Denis a répondu aux enquêteurs que ses textes acerbes se voulaient l’écho d’une chronique de la journaliste sur la radio Pure FM : « Myriam Leroy n’aime pas… ». L’origine de l’animosité de Denis réside dans le fait qu’elle l’a contacté en 2011 pour réaliser à son sujet une séquence de « Tout ça ne nous rendra pas le Congo » (ex « Strip-tease »), émission essentiellement destinée à ridiculiser ses cibles. Il s’est senti humilié. La journaliste cherchait à épingler un blogueur macho-facho, qu’elle a fini par se faire dans son roman, au nom d’une belle cause : la lutte contre le harcèlement des femmes. Cet épisode initial du contentieux a été expurgé du récit des Yeux Rouges, dont l’héroïne apparaît comme une victime purement passive.

Une enquête numérique passionnante

Les trois quarts de l’ouvrage constituent une description truculente de ses bourreaux, non seulement Denis et ses amis, mais aussi les amis de l’héroïne, son compagnon, ses soignants (voir l’énumération plus haut), ainsi qu’un expert en informatique marron… Du fond de sa dépression, la Terre ne paraît peuplée que d’idiots cruels ; elle se méfie de tout le monde, personne ne peut l’aider. La première expression émotionnelle directe de l’héroïne apparaît vers la page 150, quand elle imagine une séance de torture de Denis : « Je m’accroupis sur son visage, j’attends qu’il convulse, et alors qu’il croit mourir, je me relève, je m’en vais en riant et je croise les doigts pour que ça prenne encore quelques jours ».

La plainte de Myriam Leroy ayant été classée sans suite en septembre 2017, son avocate a introduit une nouvelle plainte avec constitution de partie civile afin d’approfondir l’enquête. Elle réclame l’identification de l’auteur du message anonyme et soupçonne également Denis d’être l’auteur de fausses réservations malveillantes pour le spectacle de son ex-compagnon, l’humoriste canadien Dan Gagnon. Après cela, elle a encore reçu un message anonyme grossier sur le site des Auteurs belges francophones en décembre 2017.

L’instruction montre que le premier message anonyme a été envoyé à partir d’une adresse email créée au Québec (patrie de son ex-). Le second a été posté par un habitant du Hainaut, connu pour des faits de cyber-harcèlement dès 2009. Les fausses réservations ne semblent en rien liées à Denis, qui souligne qu’il s’est toujours exprimé à découvert au sujet de Myriam Leroy.

Le dossier semble donc tourner en eau de boudin, mais il révèle un point étonnant. La collègue et amie de Myriam Leroy, Florence Hainaut a également déposé plainte pour la création d’un faux compte Twitter à son nom. Or, comme l’indique le Vif, « l’enquête fera apparaître que l’une des adresses IP utilisées pour ce compte est… celle de la société de Myriam Leroy ». Interprétation de cette dernière : son ordinateur a été piraté par l’abominable Denis.

Pathologie délirante chronique

Une troisième journaliste, Aurore Van Opstal, s’est inspirée de ces faits pour une courte nouvelle publiée dans le journal satirique Pan (7 novembre 2019), dont les héroïnes se nomment Sainte Marie et Sainte Fleur. Aurore Van Opstal avance ces hypothèses sacrilèges : « Soit Marie déteste Fleur et crée de faux comptes pour médire d’elle sur Internet, ce qui relèverait de la psychiatrie. Soit Fleur et Marie ont organisé cela ensemble pour se poser en victimes de harcèlement, en pensant que la police ne remonterait pas à l’adresse IP (chose rare en effet) ».

Cette interprétation n’a pas l’heur de plaire à Myriam Leroy, qui a déposé une autre plainte – avec Florence Hainaut – auprès du Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ). La romancière semble considérer que seules sa fiction est acceptable – qu’il faudrait alors qualifier de version officielle. A noter cependant que, même dans le roman de Myriam Leroy, un expert psychiatre attribue à son héroïne une « pathologie délirante chronique ».

En attendant les résultats de la procédure judiciaire, le suspense est passé du roman à la réalité.

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psychiatre et anthropologue. Il est l'auteur de "Opération Merah" et de "Lacan l'insondable".

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