J’avais à peine trente ans et j’étais très fier d’avoir été invité à Bruxelles pour un débat sur la psychanalyse. La télévision belge m’avait logé à l’hôtel Métropole. Un essai sur un patient de Freud, l’Homme aux loups, m’avait valu cet honneur. J’avais alors l’allure d’un universitaire anglo-saxon, la foi d’un néophyte en matière de psychanalyse et la sexualité un peu tordue d’un amateur de nymphettes…
Né et élevé en Suisse, j’ignorais encore que j’avais une seconde patrie : le Japon. Il me fallut pas mal d’années pour le découvrir, mais la nuit que je passais à l’hôtel Métropole n’y fut pas étrangère.
Dès mon arrivée, j’avais remarqué dans les salons de ce palace un peu décati un essaim de jeunes filles en uniforme avec des chaussettes tombant sur leurs mocassins. Je n’y prêtai pas vraiment attention, trop absorbé par les quelques dogmes freudiens que je m’apprêtais à débiter. Dans l’ascenseur, je remarquai une de ces jeunes filles plus silencieuse que ses camarades, presque absente à elle-même et dont le regard trahissait un mélange d’effroi et de curiosité assez singulier. Elle me frôla avant de sortir et je me réjouis sans trop savoir pourquoi qu’elle ait une chambre au même étage que le mien.
Une fois ma mission accomplie, celle d’un défenseur et illustrateur de la psychanalyse, je retournai à l’hôtel Métropole et m’étendis sur mon lit avec le sentiment d’avoir fait le job plus qu’honorablement. Tout cela aurait été d’une banalité consternante si quelques minutes plus tard je n’avais entendu qu’on grattait à ma porte. Ma surprise fut extrême quand j’aperçus la lycéenne croisée dans l’ascenseur. Elle ne dit pas un mot, mais avec un naturel enfantin se glissa sous ma couette. Pour la première fois – et Freud sei Dank pas pour la dernière – je goûtai au mets le plus raffiné, le plus subtil, le plus surprenant dans son alternance de férocité et de bouderie. Comme tout ce que j’avais connu durant mes années lausannoises me parut fade alors !
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Lorsqu’elle s’éclipsa aux premières lueurs de l’aube, je n’étais plus tout à fait le même, sans être assuré que cela n’était peut-être qu’un rêve, rien qu’un rêve. Ou encore, songeai-je dans un demi sommeil, Freud me récompensait-il pour l’avoir si bien défendu…
J’oubliai les Trois Essais sur la théorie de la sexualité, persuadé que jamais un Japonais n’aurait perdu son temps à s’interroger sur les origines et les ressorts de la sexualité alors qu’une telle offrande était à portée de lui.
Depuis cette nuit à l’hôtel Métropole, je me suis souvent rendu au Japon. Je ne l’ai jamais regretté. Mais j’ai un peu délaissé Freud. Je doute qu’il m’en tienne rigueur.
En revanche, j’ai découvert le poète japonais Takuboku Ishikawa, le Rimbaud japonais, par la grâce du titre de son recueil de poèmes: « Ceux que l’on oublie difficilement ». Peut-être, me suis-dit alors, devrais-écrire » Celles que l’on oublie difficilement ». Mais pourquoi le pluriel : il n’y en à qu’une dont le visage me hante encore. Je n’en dirai pas plus. Un poème de Takaboku suffira :
« Je murmure son nom
comment revenir aux larmes
de mes vingt ans »
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