Outre-Quiévrain, Bart De Wever a officiellement renoncé à former un gouvernement fédéral. Mais l’homme fort de la Flandre, bourgmestre d’Anvers et président du parti nationaliste N-VA, n’en a cure. C’est sans illusions sur ses intentions réelles que le roi l’avait nommé négociateur en chef, responsable de la formation du gouvernement fédéral, après son excellent score aux dernières législatives. Ses plébiscites répétés ont conforté Bart De Wever dans son objectif suprême : exiger l’indépendance de la Flandre, en actes sinon en paroles. Dispose-t-il seulement d’une majorité régionale pour appuyer sa revendication ? Tout dépend de la forme de la question, le reste est à l’avenant. Une minorité de Flamands souhaite officiellement se détacher de leurs compatriotes wallons, avec lesquels il ne partage plus qu’un engouement footballistique et quelques grands pactes fédéraux. Mais il suffit de demander aux sondés s’ils veulent encore payer pour les Wallons chômeurs ou immigrés, et le résultat s’inversera. Il y a quelque d’ailleurs ironie à voir nos libéraux tricolores s’enticher d’une cause dont ils ne retiennent que la version flamingante du tube de Michel Sardouille, Au bout les feignasses…
« I want my money back », dit en substance Bart De Wever, en néerlandais dans le texte. Quoi qu’on pense de ses envolées poujado-libérales, le héraut du nationalisme libéral met en évidence un fait palpable : l’autonomie culturelle de la Flandre, appelée un jour à se transformer en indépendance politique. D’ores et déjà, le royaume de Belgique unit deux démocraties distinctes, avec leurs propres partis, leurs lois communautaires, leurs langues et leurs gouvernements et leurs parlements. Le plus fédéraliste des partis belges – extrême gauche exceptée – ne parvient pas à composer avec son aile flamande, comme en témoigne les dissensions entre PS bruxellois et SPA anversois. Il suffit de musarder dans les rues d’Anvers pour acter le divorce culturel qui sépare déjà les Wallons des Flamands. « C’est bien simple, on ne se croise jamais, sauf l’été, sur la plage sur la mer du Nord ou dans les Ardennes » me soufflait une figure gandoise du nationalisme flamand. Il y a quelques années, lorsque l’éphémère Premier ministre fédéral Yves Leterme prenait La Marseillaise pour l’hymne national belge, il se trompait sincèrement. Cet homme intelligent, conservateur flamand, autonomiste sans être indépendantiste, montrait la méconnaissance d’une bonne moitié du pays, qui prend ses cousins francophones pour des Français de province. « Quand il pleut à Paris, il tombe des gouttelettes à Bruxelles », dit le proverbe belge.
Depuis que les indépendantistes flamingants ont le vent en poupe, le simulacre de nation belge créé en 1830 éclate par tous les bouts. Lorsque la famille royale visite la Flandre, il faut déplacer des cars entiers d’écoliers-figurants pour faire la claque, comme au bon vieux temps des démocraties populaires. La monarchie et l’Etat fédéral laissent indifférents la plupart des jeunes flamands, de plus en plus gagnés par une américanophilie qui leur fait délaisser l’apprentissage du français. Au lendemain de l’abdication du roi Albert II, son fils et successeur Philippe s’est rendu à Anvers pour s’adresser à ce qu’il reste de fédéralistes en Flandre. Echec et mat. Quand le roi visite Anvers, Bart De Wever se montre empereur en son royaume. La dernière fois qu’Albert s’était aventuré en terre anversoise, le bourgmestre séparatiste a refusé de le recevoir à l’hôtel de ville, prétextant des travaux, l’accueillant en portant une cravate à l’effigie du lion flamand. Ces petites provocations immédiatement suivies de reculades – contre les mauvais esprits, De Wever a prétendu qu’il s’agissait du lion de Venise – révèlent une stratégie bien rodée.
Francis Van den Eynde, co-fondateur du Vlaams Belang qu’il a fini par quitter, las des provocations répétées de son président Filip De Winter, dresse un portrait flatteur du machiavélien BDW. Le dirigeant de la N-VA offense la monarchie sans provocation excessive, avec l’air de ne pas y toucher, afin d’appuyer sa politique des petits pas. Ainsi, non content d’organisation une réunion de son parti en plein match de football des Diables rouges, De Wever attend la formation imminente d’un gouvernement wallon de coalition entre socialistes et chrétiens sociaux pour jouer au plus fin. Même si le précédent s’est déjà produit dans l’Histoire, la N-VA aura beau jeu de dénoncer l’empressement des francophones à constituer leur cabinet, au mépris des règles de réciprocité qui régissent les rapports entre ces deux démocraties fédérées. Unitaires dans les discours, séparatistes en actes, pourra-t-il toujours rétorquer à ses contempteurs wallons inquiets de ses velléités confédérales, pour ne pas dire sécessionnistes. Si les plus fervents partisans de la monarchie unitaire se recrutent dans les rangs des deux partis socialistes – PS et SPA-, c’est aussi parce que la gauche a été marginalisée sur les terres flamandes, tandis que la Wallonie reste un bastion progressiste.
Il fut un temps pas si lointain où les Francophones dominaient la Belgique et imposaient une politique de francisation dans les écoles d’après-guerre. Au milieu des Trente Glorieuses, des politologues américains s’étaient penchés sur l’exception belge, décrivant cette société bicéphale comme une rose des vents organisée autour de trois axes : catholiques/non-catholiques, flamands/wallons, gauche/droite. À les en croire, les tensions contradictoires s’exerçant sur la girouette belge maintenait le pays à l’équilibre. Mais la superposition de tous ces clivages en un seul menacerait l’existence-même du plat pays. Que la prospère Flandre, majoritairement catholique et conservatrice s’oppose comme un seul homme à la Wallonie libre-penseuse, et il en sera fini de la Belgique. Heureusement, contrairement au Liban et aux Balkans, en dehors de Bruxelles, le tracé de la frontière linguistique et territoriale entre les deux Belgiques a le mérite d’être clair, ce qui écarte tout risque de guerre civile en cas de séparation sans consentement mutuel. Certes, nos voisins d’outre-Quiévrain n’en sont pas encore là. Mais l’indépendance gagne du chemin chaque jour, avant que la rupture définitive n’advienne peut-être, une fois…
*Photo : wiki commons.
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