En Wallonie, des militants dénoncent l’emprise du wokisme dans un guide d’éducation « affective et sexuelle ».
Le vote à quasi l’unanimité au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles du « Guide d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle » (EVRAS) à l’attention des éducateurs de l’enseignement francophone (primaire et secondaire) a fait de nouveau couler beaucoup d’encre en Belgique. Certaines écoles ont même été vandalisées par des opposants… Ceux-ci sont présentés par la RTBF (Radio-télévision belge francophone) comme des obscurantistes religieux face au progrès laïque… Parmi les manifestants qui se sont retrouvés à Bruxelles, on retrouve il est vrai pas mal d’associations musulmanes et des femmes (mères de famille) voilées, ce qui pose la question du grand écart du néo-progressisme entre islamophilie et pro-LGBT.
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Mais de nombreux parents, même progressistes, peuvent avoir des questionnements légitimes sur ce guide. Rappelons que dans sa première mouture 2022, l’EVRAS estimait normaux les sextos (ces textos à caractère sexuel) et les « nudes » dès l’âge de neuf ans « avec le consentement de l’enfant ». Comme si un être de neuf ans pouvait avoir un libre-arbitre en la matière. Le gosse eût-il envoyé de son propre gré un « nude » à un homme de 60 ans et cet articulet de l’EVRAS relevait tout simplement du droit pénal… Ni la ministre de tutelle ni son cabinet ni son administration n’y ont vu quoi que ce soit de répréhensibles. Sextos et nudes ont été entre-temps supprimés à la demande de plusieurs députés de centre-droit. Cependant, dans sa version 2023, l’EVRAS contient encore de nombreux points litigieux (ici le guide).
Les médias et les progressistes accusent les opposants de verser dans le complotisme
En effet, plutôt que pointer tel ou tel conspirationniste, comme le fait RTBF.be, il suffit en définitive de revenir au texte original de l’EVRAS. Voici ce qu’il postule (parmi d’autres perles) dans sa version amendée de 2023. Rédigé dans une écriture inclusive assez pesante avec, partout, l’utilisation du pronom IEL, les rédacteurs du Guide précisent que leur propos est non hétéro-normatif[1]. Par exemple, que dès 5-8 ans, il faut « prendre conscience que l’identité de genre peut être identique ou différente de celle assignée à la naissance », et connaître « la différence entre identité de genre et sexe biologique ». Dès 5-8 ans, il faut « consolider sa propre identité de genre car il y a une prise de conscience des attentes liées aux stéréotypes. Certains jouets ne seraient pas attribués au genre féminin ou masculin ». Dès 9-11 ans, l’enfant devrait jongler avec un jargon abscons : cisgenre, transgenre, homme, femme, non-binaire, agenre, genre fluide, genre non binaire, lesbienne, gay, bisexuel·le, asexuel·le, pansexuel·le. Le pré-adolescent devrait prendre conscience « qu’il existe dans la société de l’homophobie, de la lesbophobie, de la biphobie, de la transphobie, du sexisme, de l’intersexophobie, et de l’acephobie ». N’est-ce pas un peu jeune ?
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Autre élément particulièrement symptomatique : lorsqu’on tape « garçon » ou « fille » dans le document, il y a zéro occurrence… N’est-ce pas tout de même un peu étrange ? « Homme » apparaît peu et « femme » seulement associé à « femme battue » par exemple.
Bigots réactionnaires…
On sent poindre, entre les lignes du Guide, l’idéologie woke, la révolution culturelle très tendance des « éveillés » à propos de laquelle l’universitaire français Jean-François Braunstein (La religion Woke, Grasset) a dit l’essentiel. « L’enthousiasme qui anime les wokes évoque bien plus les « réveils » religieux protestants américains que la philosophie française des années 70. » Mais, en Belgique, ceux qui mettent en garde contre la seule religion née dans les universités sont inaudibles. Alors qu’il est probable qu’en France, ce Guide aurait suscité un tollé à l’Assemblée nationale. En Belgique, le système politico-médiatique fait front contre tout récalcitrant. Le Premier ministre belge, le Flamand Alexander De Croo (libéral-libertaire), s’est même porté au secours des autorités politiques francophones. Et il menace : tous ceux qui « désinforment » sur l’EVRAS pourraient avoir à faire avec la Computer Crime Unit de la Police Fédérale, qui prendra des actions. Bigre, craint-on une menace terroriste ? Personne dans le landerneau journalistique n’ose s’opposer à l’EVRAS. Le directeur de LN24 (principale chaîne d’info en continu), Emmanuel Tourpe, a vite supprimé son tweet critique face à la levée de boucliers de sa rédaction. Questionnez l’EVRAS et vous voilà un bigot réactionnaire !
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Dans la presse belge, de nombreuses cartes blanches sont pourtant parues par le passé, émettant de fermes réserves contre le Guide. Les autorités de tutelle les ont écartées d’un revers de main. Des pédo-psychiatres ont averti du risque d’hyper-sexualisation de l’enfant que contient le Guide EVRAS en filigrane, et du non-respect du temps de latence propre à l’enfance : « Le guide ne propose pas quelques balises, comme il le prétend ; il défend une vision idéologique de l’éducation sexuelle et affective, où chaque enfant jongle avec son genre et sa sexualité, selon son bon désir, pour peu qu’il y ait consentement mutuel entre partenaires (à partir de neuf ans…). » En juillet 2022, le Pr Alain Eraly, professeur émérite de sociologie à l’ULB, temple du libre-examen et de la laïcité, se demandait, dans La Libre Belgique, entouré d’un collectif de pédopsychiatres : « Est-il justifié et souhaitable de conférer à des enfants et à des adolescents le droit, à partir de leur seul “ressenti”, de changer de genre ? N’instrumentalise-t-on pas le jeune en brandissant envers et contre tout le spectre d’une conviction intime réprimée ? (…) Quelle est la part d’autonomie propre et la part d’influence et de pression des jeunes entre eux dans la formation de cette conviction intime? » On ne retrouve pas suffisamment ce type de réserves dans l’EVRAS. Peut-être en raison de l’absence de médecins cliniciens impliqués dans la rédaction du guide, absence qui a interpellé le député Mouvement Réformateur (centre-droit) Nicolas Janssen. On retrouve, en revanche, à la plume, des émanations de milieux associatifs dont on connaît la force militante.
On pourrait bien sûr gloser sur le fait que 2 x 2 heures d’éducation à la vie sexuelle et affective dans toute une vie d’écolier, en primaire et en secondaire (c’est ce qui est prévu), c’est peu de chose. Et il est vrai que l’école belge francophone obtient des scores catastrophiques aux enquêtes PISA depuis des décennies, et que les vraies priorités sont ailleurs…
[1] Une approche non-hétéro-normative a pour principe de ne pas considérer le fait d’être hétérosexuel comme étant la norme, allant de soi, comme la référence par défaut et de marginaliser tout ce qui en sort.
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