Le billet du vaurien
J’aime beaucoup les histoires de vampires et le livre d’Edgardo Franzosini, Bela Lugosi, biographie d’une métamorphose m’a comblé. Nul n’ignore que les vampires sont surtout répandus en Hongrie, pays d’origine de Bela Lugosi, en Roumanie (Cioran n’a-t-il pas vampirisé la philosophie ?) et en Moravie. Mais déjà, dans l’empire romain, les vampires sévissaient et Pline raconte que les malades atteints d’épilepsie accouraient boire le sang des gladiateurs qui venaient d’être tués dans l’arène.
En Espagne, un vieux prêtre mourut et fut enterré. La nuit suivante, il sortit de sa tombe à la recherche de sang. Il rencontra un de ses paroissiens les plus dévots, l’accosta, le salua et tenta de le mordre au cou. L’homme réussit à se libérer et donna l’alarme. Tous les habitants accoururent, débusquèrent le curé et l’immobilisèrent. En larmes, il déclara avoir commencé à prendre goût au sang en buvant celui du Christ. Comme Jésus, le vampire ressuscite : ses membres présentent en général une flexibilité extraordinaire et, face au danger, il se transforme en chauve-souris.
D’ailleurs quand Bela Lugosi, l’incarnation parfaite du vampire au cinéma, mourut à Los Angeles, il prononça les mots qui scellent son existence tout entière : « Je suis le comte Dracula, je suis le roi des vampires, je suis immortel ». On raconte que l’acteur Peter Lorre s’était présenté devant la dépouille avec l’intention, religieuse finalement, de lui planter un pieu de bois dans le coeur. Boris Karloff, alias Frankenstein, qui l’accompagnait l’en dissuada. Lorsque les deux hommes se dirigèrent lentement vers la sortie de l’hôpital, ils assistèrent à un spectacle hallucinant : une gigantesque chauve-souris noire les suivait de son vol silencieux et feutré. Quand ils ouvrirent la porte vitrée qui donnait sur la rue, ils virent l’animal empressé de s’enfuir vers le ciel où le soleil était sur le point de se coucher…
Il y a bien évidemment un lien entre le vampirisme et le cinéma : la caméra agit avec l’acteur comme le vampire avec sa victime. Luigi Pirandello dans Les cahiers de Serafino Gubbio, opérateur fut un des premiers à reconnaître au cinéma la faculté de sucer et d’absorber la réalité vivante des interprètes « pour lui donner une apparence évanescente ». La description de l’état dans lequel ils tombent après que leur image a été imprimée par la pellicule, présente de surprenantes analogies avec les conditions dans lesquelles vient à se trouver un individu mordu par un vampire : « Ils ressentent confusément, avec un sentiment exacerbé, que leur corps évidé est comme soustrait, supprimé, privé de sa réalité…»
Lorsqu’il arriva à Los Angeles, Bela Lugosi comprit aussitôt qu’Hollywood n’était pas une ville mais un état d’âme. Et sans doute un cimetière pour vampires. Il s’installa aussitôt dans une maison située au bord d’un précipice qui deviendra : « La maison du vampire ». La suite est connue : le metteur en scène Tod Browning, l’auteur de l’immortel Freaks , confiera le rôle de Dracula à Lugosi, lui assurant ainsi une gloire universelle. Il avait été frappé par la description que faisait Lugosi de sa demeure : « Oui, la maison est ensorcelée… on n’échappe pas à son propre destin. C’est pour cette raison que, quand je suis venu ici avec ma femme (il en aura cinq ), j’ai fait mettre de solides verrous aux portes et aux fenêtres, et moi seul en conservais les clés. Le premier soir, une énorme chauve-souris est apparue dans la salle à manger et a commencé à voltiger, elle s’est plaquée contre la fenêtre et nous fixait de son œil unique. Cette bête immonde m’a inspiré un sentiment de dégoût, l’intention de l’abattre est devenue une idée fixe…» Bela Lugosi n’y est jamais parvenu, même avec l’aide de Tod Browning, autre vampire qui, comme il se doit disparaissait chaque soir. Personne ne savait où il habitait, personne ne connaissait sa famille. Ceux qui ont travaillé avec lui se souviennent qu’il aimait raconter des histoires de vampires qu’il concluait toujours ainsi : « Croyez-moi, tout ce que je vous ai raconté est vrai ». À titre personnel, je n’en aurais jamais douté….
Edgardo Franzosini, Bela Lugosi, biographie d’une métamorphose. Traduit de l’italien par Thierry Gillyboeuf. Éditions la Baconnière.
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