2020 fut l’année Beethoven. Pourtant, il peut illuminer toute une existence
L’année Beethoven s’achève bientôt, mais celui qui disait « la musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie » soutiendra toujours ceux que sa musique, comme il le souhaitait, touche au cœur.
Une révélation à huit ans
J’avais dans les huit ans. J’étais chez des amis. Ils avaient un électrophone Teppaz près duquel était une grande pochette de disque « 33 tours » sur laquelle figurait un visage puissant, cheveux en tempête, et une vigoureuse signature qui me semblait compliquée à l’extrême. J’avais posé machinalement le saphir sur le disque. Après les quelques secondes de craquements caractéristiques du microsillon, les quatre brefs accords de la Cinquième me cueillirent au plus profond de l’être comme une soudaine révélation.
Il est difficile de décrire ce qu’est une « révélation ». Mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Rétrospectivement je pense que, subitement, tout ce qui en moi s’était constitué de trésor de sons, d’images, de sensations et d’interrogations, s’est trouvé comme « précipité », au sens chimique du terme, et révélé, à l’audition de cette bouleversante symphonie.
Une réponse à des questions qu’on ne se posait pas
L’irrésistible progression dynamique de ce premier mouvement m’entraînait comme une vague puissante, toujours plus avant. Je ressentais l’énergie incroyable qui saturait cet univers sonore, et elle prenait aussi, en quelque sorte, possession de moi. J’avais vu, déjà, un vieux film d’Abel Gance, qui s’appelait Un grand amour de Beethoven. Harry Baur y interprétait ce personnage étrange, inquiétant et attendrissant, qui, se promenant dans la campagne, n’entendait pas les bruits de la nature mais de la musique. Et qui s’escrimait comme un possédé sur un piano dont ne sortait pour lui aucun son. Il mourait à la fin du film. Gros plan sur son visage, les yeux éclairés violemment qui s’ouvraient en même temps qu’il lançait un grand cri vers le ciel. Cet épisode, bien que j’en comprisse mal le sens, m’avait profondément troublé.
Et maintenant cette musique m’était une évidence, comme une réponse à des questions que je ne me posais pas. Parce qu’à cet âge on n’a pas de questions, mais des interrogations.
La souffrance vaincue
Beethoven me révélait la beauté et le tragique de la condition humaine, et, dans le même temps, me disait : « Tu n’es pas seul ». Souffrance, joie, tristesse, espoir, désir, tout ce que j’avais jusqu’alors éprouvé sans pouvoir l’articuler, sans presque le savoir, dans la passivité démunie de l’enfance, tout prenait vie et sens. Ce que j’avais en moi était le lot commun, en tout cas un homme au moins l’avait éprouvé et me le disait.
Et ce message sans mots m’emplissait de joie. La vie s’offrait, infinie de possibilités, exaltante. Et, par delà le bien et le mal, qui m’étaient soudain révélés, était le beau. La vie était forcément belle puisqu’elle pouvait offrir de tels accents, puisque même la souffrance, que je sentais si présente dans ces accords inquiétants et magnifiques, même la souffrance pouvait être vaincue par son expression même.
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