Les préposés à l’art dit contemporain du ministère de la Culture ont réussi à introduire leur ami et comparse, l’artiste conceptualo-postural Jean-Marc Bustamante, dans cette vénérable institution qu’est l’Académie des Beaux-Arts. Cette opération semble pour le moins étonnante, quand on sait que l’Académie est réputée plutôt « conservatrice », franco-française, et que l’utilisation du mot « beauté » y est encore permis, alors qu’il est interdit et ringardisé dans le champ de l’art dit contemporain et donc dans les couloirs du susdit ministère.
Il semble donc que cette intrusion contre-nature ait tout simplement pour but de placer l’Académie sous contrôle de la bien-pensance ministérielle, sous prétexte de l’ouvrir à la contemporanéité et à l’internationalité (ces deux notions étant indissociables).
Bustamante, l’artiste d’Etat
Mais avant d’envisager les raisons sous-jacentes à cette tentative d’annexion de la vieille citadelle, il convient de préciser le parcours et le profil de celui qui semble jouer ici le « cheval de Troie » de l’appareil institutionnel.
Il faut dire en effet que M. Bustamante est le prototype-même de l’agent passe-partout, polyvalent et multi-casquettes de l’art d’Etat : tour à tour artiste, professeur, « curator », critique d’art à l’occasion, membre de nombreuses commissions, etc.
En tant que plasticien « proprement »- dit, il fait preuve d’un éclectisme exemplaire, produisant des choses diverses et variées, passant d’un sujet à l’autre : traces de peintures, photos de terrains vagues et de lieux en déshérence, bricolages improbables, cages suspendues au plafond ou tôles fixées au sol, « chambres d’amour » dans les frondaisons.
Il pratique à merveille ce « subversivisme » des codes de la peinture et de la société, qui est tant apprécié chez les rebelles fonctionnarisés peuplant l’appareil institutionnel. Sa plus fameuse performance sociéto-questionnatoire fut d’avoir en 1995, introduit un gros camion dans une église de Carpentras, au titre d’œuvre d’art post-moderne et pré-contemporaine… Camion délogé par le maire de la ville (pourtant pas FN), qui fut immédiatement attaqué en justice par l’artiste et son excellente avocate Agnès Tricoire, spécialiste en « propriété intellectuelle », qui obtint 80 000 euros de dommages et intérêts… Un virtuose de la procédure donc ce M. Bustamante, aussi redoutable que son ami Buren !
Comment d’authentiques créateurs de formes ont-ils pu être retournés au point de trahir leur propre cause et celle de la peinture?
Virtuose aussi du paradoxe oxymorique et de l’auto-dérision, comme il en a fait la récente démonstration sur France Culture, en tant que tout nouveau directeur de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris (ENSBA), en expliquant que son école ne sert à rien et qu’il faut compter 100 étudiants pour faire un artiste… Lui, bien sûr, ayant eu la chance de ne pas fréquenter cette école de l’échec assuré à 99%, pour avoir fait d’abord des études d’économie, comme Bertrand Lavier et Jean-Pierre Raynaud avaient fait des études d’horticulture, comme Jef Koons avait étudié la finance et Olivier Mosset la motocyclette.
C’est donc sa haute « performativité » en de multiples domaines, qui a permis à Monsieur Bustamante d’être nommé à la direction de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, et, dans la foulée, sélectionné pour postuler avec succès à l’Académie des Beaux-Arts, ouvrant ainsi la voie de l’Institut à quantité de ses homologues adeptes du « processualo-discursif » tels que Buren, Mosset, et, pourquoi pas, le facétieux Lavier qui saura faire de l’auguste Académie un haut-lieu de la rigolade branchée parisienne…
Il convient donc d’expliquer comment l’incroyable devient crédible, et pourquoi l’ultra-avant-gardiste Bustamante, au très haut niveau de modernité, entreprend de se mélanger à des artistes qu’il trouve ringards. Il convient inversement de comprendre pourquoi ces derniers accueillent avec enthousiasme celui qui les méprise… De comprendre comment d’authentiques créateurs de formes comme Velikovic, Garel, Carron, Desmaziéres, ont pu être retournés au point de trahir leur propre cause et celle de la peinture… Comment ils ont pu voter pour l’admission d’un ennemi déclaré de la peinture et d’un peintre qu’ils savent totalement calamiteux… Oui, il convient de comprendre le mécanisme de ce contre-sens aberrant, d’en trouver les mobiles et les enjeux.
Les « bons artistes » et les autres
La première explication plausible de cette OPA du ministère sur l’Académie des Beaux-Arts, c’est qu’il était devenu de plus en plus insupportable à l’Etat de voir la vénérable institution fonctionner librement, en totale indépendance de la puissance publique et ce depuis plus d’un siècle… Inadmissible, sa richesse foncière venant d’un important patrimoine immobilier et muséal composé notamment du Musée et de la Bibiothèque Marmottan, de la Fondation Claude Monet à Giverny et de la Villa Ephrussi à Saint-Jean-Cap-Ferrat… Exaspérante, sa politique active de partenariats avec un important réseau d’institutions culturelles et de mécènes… Énervant de la voir attribuer chaque année une trentaine de prix à de jeunes créateurs de toutes disciplines et « tendances » artistiques, dont le travail n’obéit pas aux préconisations esthétiques des bureaucrates du ministère… Outrageant enfin de voir cette manne d’argent privé soutenir un art illégitime et « dissident » et ne pas profiter aux « bons artistes » agréés figurant sur la liste établie par le dispositif institutionnel.
Il fallait donc que l’inacceptable cessât. Et il va cesser car l’opération semble avoir bien réussi. Le loup est dans la bergerie, les portes de la citadelle sont entr’ouvertes. Les académiciens lassés d’être pris pour des ringards, ont été flattés que l’extrême avant-gardisme officiel les prenne enfin en considération. Aussi n’ont-ils rien vu venir de la manœuvre, pourtant grosse comme un camion dans une chapelle, quand M. Bustamante leur a servi, pour les séduire et les émouvoir jusqu’aux larmes, une « communication » onctueuse et sur-mesure, pour leur faire miroiter d’abord les avantages d’une collaboration avec le ministère pour donner à leur Académie une audience internationale, pour leur vanter ensuite les vertus du dessin et de la peinture… Alors que lui, « plasticien de l’idée » ne sait ni peindre ni dessiner, et qu’il est l’exact produit de ces 40 années de dictature du conceptuel, années de plomb pour la peinture et terrible période de disqualification de toute expression du sensible, du métier, du poétique…
La « duchamposphère » exulte
Opération réussie donc. Libérée de la tutelle de l’Etat sous Jules Ferry, l’Académie revient ainsi dans son giron après plus d’un siècle de folle liberté… Retour à l’ordre artistique républicain… Fini la diversité… Bravo, Messieurs les bureaucrates de l’art français ! La « duchamposphère » exulte.
Opération réussie, mais affaire à suivre de près cependant, car cette volonté d’entrer en force dans l’Académie (comme il entre en force dans quantité de lieux patrimoniaux), n’est-elle pas signe du désarroi de l’appareil artistique d’Etat, en perte de crédibilité, de confiance en soi et de financement public, et ainsi prêt à toutes les vilénies pour reconquérir un pouvoir sur l’art qu’il a usurpé et qui lui échappe de plus en plus ?
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !