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Beauvau de la sécurité: mais à quoi sert le commissaire?

Un grand corps malade


Beauvau de la sécurité: mais à quoi sert le commissaire?
Remise de diplômes à l’École nationale supérieure de police à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, près de Lyon, en présence de Christophe Castaner, 26 juin 2020 © Nicolas Liponne / Hans Lucas / AFP.

La hiérarchie de la Police nationale est dominée par les commissaires. Ces hauts fonctionnaires très rarement issus du rang connaissent mal le terrain, mais cela ne les empêche pas de diriger les opérations de maintien de l’ordre. Une anomalie qui est pour beaucoup dans l’état actuel de la police en France.


Sans doute est-ce par manque de culture, mais les gauchistes ne mentionnent jamais que la Police nationale a été créée en 1941, sous Vichy, par l’étatisation et l’unification des polices municipales et urbaines des villes de plus de 10 000 habitants. Ils se privent ainsi d’une reductio ad pétainum bon marché. Il est vrai que, contrairement à nombre d’administrations et autres autorités, la police a fait l’objet d’une épuration à la Libération. Depuis, sa devise est « pro patria vigilant » : pour la patrie, ils veillent. Elle peut en être fière.

Les policiers se répartissent entre trois corps, qui sont, dans l’ordre hiérarchique ascendant les gardiens de la paix et gradés, les officiers de police et les commissaires de police.

Les gardiens de la paix et gradés sont la cheville ouvrière de l’ensemble des missions qui incombent aux services actifs de police. Ils ont en charge à la fois leurs missions originelles, exercées en tenue, et toutes celles de l’ancien corps des inspecteurs de police, aujourd’hui disparu. Ils sont l’équivalent de la troupe pour l’armée : du simple soldat à l’adjudant-major, ce sont ceux sans qui on ne pourrait mener la guerre. Ils servent au quotidien le public, au péril de leur intégrité physique, et parfois psychique.

Les officiers de police assurent « les fonctions de commandement opérationnel des services. Ils secondent voire suppléent les commissaires de police. Ils ont également vocation à exercer des fonctions de direction de certains services. » Commençant lieutenant et finissant commandant, ils sont éternellement subalternes, bien qu’ils aient été intégrés en tant qu’officiers.

Les commissaires de police, enfin, sont de hauts fonctionnaires qui « assurent la direction hiérarchique, fonctionnelle, organique et opérationnelle des services donnant les directives et instructions leur permettant d’assurer ou de faire exécuter les missions ». Ils sont répartis sur trois grades – commissaire, commissaire divisionnaire et commissaire général – et certains peuvent espérer accéder à des fonctions de contrôleurs et d’inspecteurs généraux.

Si on compare la police à l’armée, c’est un peu comme si les commissaires exerçaient des fonctions de lieutenant-colonel, sans avoir jamais commandé de troupes au feu.

Cette organisation constitue une véritable anomalie. Partout ailleurs, on rencontre schématiquement deux types d’organisation : soit un recrutement au premier grade, assorti d’un système d’évaluation et de promotion interne, soit un recrutement à deux niveaux, correspondants aux sous-officiers et officiers. Dans tous les cas, personne ne peut prétendre exercer des fonctions sommitales sans avoir connu l’épreuve du feu, et sans avoir dû exécuter des ordres venus d’en haut.

En effet, pour que ces ordres soient en phase avec la réalité et demeurent applicables, ou en tout cas opportuns, encore faut-il appréhender leurs conséquences sur le terrain. Il faut qu’une stratégie définie en état-major ait une déclinaison tactique réalisable. Pour donner de bons ordres, il faut en avoir reçu, y compris des stupides, et y avoir obéi.

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Actuellement un (bon) officier de police est l’équivalent d’un chef de section ou de compagnie dans l’armée de terre : il va au feu avec les hommes, et morfle comme eux. Si, plus tard, il est amené à ne plus commander qu’un bureau, au moins aura-t-il en mémoire ces moments de tension où il a dû prendre des décisions tactiques en un instant, secondé par un gradé expérimenté qu’il aura appris à respecter. Toute spécificité individuelle mise de côté (il y a des imbéciles partout), chaque « soldat » aura appris à reconnaître et respecter cet officier, et l’officier aura pris la mesure de l’engagement et du courage de ses hommes. Selon une formule qui m’est restée en mémoire : « Si tu veux que tes hommes t’aiment un peu, il faut les aimer beaucoup. »

Si cet officier est un homme de valeur, c’est une notion qui l’accompagnera tout le reste de sa carrière. Si l’on veut un exemple grand public de ceci, je ne peux que conseiller l’immense série américaine Band of Brothers. On y suit les tribulations du lieutenant Winters de la 101e Airborne jusqu’au grade de major où, éloigné de la première ligne par son nouveau grade, il doit se borner à définir la stratégie d’attaque.

Eh bien, un commissaire, c’est un type qui se retrouverait dans la peau d’un lieutenant-colonel (soit un grade au-dessus d’un major américain) sans jamais avoir vu l’ennemi et, surtout, sans avoir jamais pris et donné de coups. Il n’a fait de la manœuvre que pour rire, à l’école, et a passé ses stages de « terrain » dans un splendide isolement. Il n’a jamais dû exécuter d’ordres stupides. Dès ses débuts, il a été celui qui les donnait ou les répercutait sans état d’âme, puisque incapable d’en évaluer les conséquences sur la troupe.

Sans aller chercher d’exemple à l’étranger, on peut comparer tout cela avec ce qui se passe dans la Gendarmerie nationale, structurée autour des deux corps traditionnels. Si elle souffre d’autres problèmes, elle n’a pas en tout cas celui de la cohérence de la pyramide des grades, chaque corps ayant des missions spécifiques qui ne recoupent pas celles de l’autre. En revanche, au sein de la Police nationale, il existe une foule d’occasions de double emploi et de conflits de compétences, particulièrement entre officiers et commissaires.

C’est un peu comme si Napoléon avait eu l’idée de donner brusquement à Murat le commandement de l’artillerie

Les commissaires sont censés s’occuper de la direction opérationnelle et les officiers assurer le commandement opérationnel des missions, ce qui correspond respectivement à la stratégie et à la tactique. En pratique, il y a toujours un commissaire pour donner une instruction tactique à un officier supposément autonome, en particulier si le commissaire décide de se montrer sur le terrain et prétend prendre les choses en main. Ce qui est généralement le cas des plus incompétents qui, n’ayant pas assez confiance en eux, peinent à faire confiance à leurs subordonnés. Ce qui veut dire que les pires instructions sont alors données par les moins bien placés pour le faire…

En revanche, un commissaire n’a aucun problème pour se faire remplacer dans ses fonctions par un officier, par exemple les week-ends ou la nuit, ou dans des réunions ennuyeuses. Et là, nul ne voit plus la moindre différence de capacités et de compétences entre les deux corps, y compris lorsqu’il s’agit de prendre attache avec le préfet local, mission que le commissaire se réserve pourtant soigneusement d’ordinaire.

Cette confusion est encore aggravée par le fait qu’en l’état actuel du recrutement, les personnes désireuses d’intégrer la police autrement qu’en tant que gardien de la paix se présentent simultanément aux concours d’officier et de commissaire, le niveau de recrutement étant fort proche. Pour ceux qui échouent à devenir commissaire, cela ne peut que générer davantage d’amertume et de frictions, surtout si l’on considère la part de hasard inhérente à chaque concours.

Autant dire que la plupart des gardiens et gradés préfèrent travailler sous les ordres d’un officier que sous ceux qu’un commissaire, qu’ils voient, sauf exception individuelle, comme quelqu’un n’ayant pas de considération pour la troupe, peu de compétences pour la mener, et surtout comme le gardien des intérêts de l’administration plus que de ceux de leurs subordonnées. De fait, on ne voit jamais les hiérarques policiers mettre leur carrière en jeu pour défendre leur maison et leurs hommes, comme le font certains officiers généraux de gendarmerie.

Cette dissonance fonctionnelle n’aurait pas dû se produire. En 1995, la transformation du corps des inspecteurs en corps des officiers de police et l’ouverture concomitante des fonctions de policiers en civil aux gardiens et gradés visaient à rapprocher progressivement officiers et commissaires jusqu’à fusionner les deux corps en un seul, assurant de bout en bout l’encadrement de la police. Il faut dire que fils de brigadier de police, Charles Pasqua n’aimait guère les commissaires, qu’il ne tenait pas pour de vrais flics.

Or, le lobbying des commissaires, omniprésents dans le système, est parvenu à torpiller cette réforme pourtant cohérente.

Dans ces conditions, faut-il préciser que, depuis 1995, leur méconnaissance du terrain, leur statut de mandarin héritant tous les trois ans du poste gardé au chaud par leur prédécesseur et assorti d’avantages « coutumiers » (telles les voitures de service qu’ils s’attribuent comme voitures de fonction au mépris des règles écrites) font des commissaires une caste qui s’est progressivement coupée des réalités. Certes, ils ne sont pas de purs administratifs, mais ils ne sont plus des flics, au point que certains, notamment dans les grandes villes, ne prennent même plus la peine de porter une arme quand ils se trouvent en uniforme sur la voie publique, partant sans doute du principe que la troupe les protégera.

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Cette déconnexion du réel a bien évidemment des effets pernicieux sur la voie publique, à commencer par la mise en danger des effectifs. Il y a quelques années, dans une grande ville du sud de la France, ordre avait par exemple été donné de ne plus effectuer que des patrouilles à deux pour multiplier les équipages. Or, il est impossible d’intervenir en binôme dans un quartier sensible : soit la voiture brûle, soit on laisse un policier intervenir tout seul pendant que l’autre garde la voiture. On ne voit pas comment des hommes qui n’ont jamais connu d’intervention en infériorité numérique pourraient évaluer le danger ou remettre en cause les doctrines d’intervention qu’ils appliquent depuis l’école de police.

À ce sujet, on donnera l’exemple des errements constatés lors des premières manifestations des Gilets jaunes, au cours desquelles on a stupidement appliqué des doctrines antédiluviennes, consistant à masser les unités à l’écart « pour ne pas provoquer les manifestants », comme après-guerre lors des grandes manifs ouvrières. Autant dire que sans aucun flic en vue, subversifs et pillards n’allaient pas se gêner pour tout casser, jusqu’à l’Arc de Triomphe.

Je finirai en soulignant ce qui me semble être le plus absurde. La police n’est qu’une appellation générique qui recouvre nombre de métiers, allant du maintien de l’ordre au renseignement, en passant par la police aux frontières, sécurité publique, la circulation routière, la police technique et scientifique, ou les nombreuses spécialités de police judiciaire, et j’en passe. Autant de spécificités, de technicités, de métiers qui n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres.

On peut certes concevoir l’existence d’un commandement unifié au plus haut niveau, qui dirige les services et non les missions. Cependant, la plus grande partie des cadres de la police ont besoin de connaissances techniques pour travailler correctement. Or, les commissaires sont susceptibles d’occuper indifféremment n’importe quel fauteuil, dans n’importe lequel de ces services. Ce qui signifie qu’ils peuvent donner des instructions opérationnelles sans rien connaître à la réalité du boulot. Ainsi, en vertu des tours de permanence, un commissaire du renseignement territorial, dont le boulot est essentiellement de corriger et de valider des notes rédigées par d’autres, peut se retrouver le week-end à devoir gérer le service d’ordre d’une manifestation.

C’est un peu comme si Napoléon avait eu l’idée de donner brusquement à Murat le commandement de l’artillerie, ou si un cadre commercial devenait, le temps d’un week-end, responsable du fonctionnement d’une centrale nucléaire : il n’y a aucune raison que cela se passe mal.

Janvier 2021 – Causeur #86

Article extrait du Magazine Causeur




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est marseillais. Cela en fait un toutologue dont l'incompétence n'a d'égale que la mauvaise foi.

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