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Beautés de papier

L’essentiel est de sentir la main, le geste et l’intention de l’artisan qui l’a créé


Beautés de papier
Entre savoir-faire artisanal et techniques de pointe, Mehmet et Dimonah Iksel entretiennent l'art du papier peint. © Iksel Decorative Arts

La beauté n’est plus une préoccupation quotidienne. Il suffit de voir à quoi ressemblent nos rues, les immeubles qu’on y construit et les gens qui s’y promènent. Le goût de l’esthétique trouve refuge dans nos intérieurs et atteint son comble grâce à des éditeurs de papiers peints, véritables artisans d’art, telle la maison Iksel.


L’enfant qui subsiste en chacun de nous se souvient de ses premières années de vie, gravées en lui pour l’éternité, au cours desquelles il prend peu à peu conscience de lui-même et de son environnement en contemplant le papier peint de sa chambre figurant des lions, des oiseaux et des fleurs : par-delà le plaisir que lui procurent ces dessins, il sent là un langage caché, une intention, un premier contact avec la beauté de la nature.

La beauté élève

Quelle est la valeur de l’ornementation dans notre vie quotidienne ? Ce qui est d’abord troublant, c’est que le fait même de poser la question en public, aujourd’hui, expose au risque du sarcasme, comme si l’ornementation était une idée ou une préoccupation ridicule d’un autre âge cantonnée à la seule sphère privée. Or il n’en a pas toujours été ainsi, comme le démontre lumineusement l’historien de la vie quotidienne Roger-Henri Guerrand dans son livre L’Art nouveau en Europe (publié en 1965 avec une préface d’Aragon). Dans la lignée de Napoléon III et du préfet Haussmann, nous dit Guerrand, les dirigeants de la IIIe République, de 1871 à 1914, ont considéré l’accès à la beauté comme une priorité politique absolue : Paris, la capitale, devait être belle à travers son architecture, ses façades d’immeubles, ses perspectives, ses pavés non goudronnés, ses rues arborées, ses réverbères au gaz, ses colonnes Morris, ses fontaines et ses bouches de métro dessinées par Hector Guimard…

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Fascinants dans le contexte actuel, les textes ministériels exhumés par Guerrand campent une bourgeoisie éclairée qui aspire à rendre la beauté accessible au peuple en même temps qu’elle lui inculque les règles élémentaires de l’hygiène (à l’image du père de Marcel Proust). Le spectacle de la beauté doit inciter les classes laborieuses (qui n’ont pas encore été chassées de Paris !) à gravir les échelons et à s’instruire, il est un facteur d’ordre, d’harmonie et de paix sociale. Cette façon de voir les choses est-elle si stupide ? Toujours est-il qu’en 2023, la beauté a été bannie de nos villes et s’est réfugiée dans nos appartements ! Nous sommes entrés dans la civilisation du cocooning et de la termitière. D’ailleurs, le marché mondial de la décoration d’intérieur a explosé : 840 milliards de dollars dont 26 milliards seulement pour la France.

L’art du papier peint

Inventé par les Chinois, le papier peint à la main a été introduit en Europe par Marco Polo au XIIIe siècle, mais son essor ne commence qu’au XVIIIe en France et en Angleterre où il se substitue peu à peu aux peintures murales. Pour la bourgeoisie triomphante du XIXe siècle, cet art décoratif permet de retrouver le faste de l’aristocratie défunte.

Le grand théoricien du papier peint est l’Anglais William Morris (1834-1896) à qui une très belle exposition est actuellement consacrée à La Piscine de Roubaix. En France, la plus ancienne entreprise de papiers peints artisanaux est la manufacture Zuber fondée en 1790 en Alsace, où l’on continue à imprimer des motifs du XIXe siècle à la planche. De même, l’atelier d’Offard, à Tours, fabrique ses couleurs à partir de pigments naturels, utilise de la colle de peau de lapin et peint ses papiers à l’aide de grandes brosses de soie… On est dans le sublime et donc, dans l’inaccessible…

Mehmet et Dimonah Iksel, le renouveau inspiré

Heureusement pour nous, il existe aussi une autre technique d’impression un peu moins coûteuse : la reproduction numérique telle qu’elle a été mise au point par un couple de décorateurs hors du commun : Mehmet et Dimonah Iksel.

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Né à Istanbul en 1951, Mehmet est à l’origine metteur en scène de théâtre à Paris où il monte les pièces de Marivaux et de Jean Genet. Lors d’un voyage en Inde, il tombe amoureux de Dimonah, fille d’un diamantaire d’origine irakienne et hongroise. À Jaipur, tous deux découvrent une corporation de peintres d’exception capables de reproduire aussi bien des tableaux de Rubens et de Poussin que de restaurer des fresques chinoises du XIIe siècle ! « Nous travaillons avec eux depuis trente-trois ans. Ils sont incroyablement méticuleux, par exemple, ils peignent chaque feuille d’arbre, l’une après l’autre… On n’est pas dans l’impressionnisme ! Ils travaillent sur des toiles de coton tissées à Jaipur qui ont reçu plusieurs couches d’enduits naturels destinés à bien fixer les couleurs. Ces toiles présentent des plis et des petites craquelures que nous nous efforçons de restituer sur nos papiers peints. » Dimonah conçoit elle-même la plupart des panoramiques en s’inspirant notamment des peintres naturalistes français du XVIIIe siècle (tel Pierre-Joseph Redouté, 1759-1840, à qui l’on doit de splendides aquarelles de fleurs et d’animaux). Elle fournit aux peintres les planches originales dénichées en salles des ventes et les assemble un peu comme un collage surréaliste à la Max Ernst. Puis vient la seconde phase de fabrication, tout aussi importante : « Nous photographions les peintures à la chambre, explique Dimonah, avec un temps de pose très long de plusieurs heures. Les photographies sont ensuite numérisées par notre équipe d’informaticiens basés à Istanbul, centimètre carré par centimètre carré : en fait, il faut autant de temps pour numériser que pour peindre ! C’est un travail colossal. Dans nos papiers peints, la seule chose qu’on ne peut pas reproduire, c’est le dessin, le geste d’un Dürer ou d’un Picasso qui avaient une main prodigieuse ! Le dessin, pour moi, c’est la quintessence du génie. » Certains panoramiques des Iksel mesurent 25 mètres de large. On peut en admirer certains à l’hôtel Saint-James, à Paris.

Les ravages de la modernité, William Morris les a tous prévus en son temps : la destruction de la nature, la soumission de l’homme aux machines, la libération de ses plus bas instincts et la disparition du travail artisanal au profit de la laideur industrielle… Comme Morris, les Iksel pensent que la beauté d’un papier peint ou de n’importe quel objet du quotidien exerce une action bienfaisante sur notre psychologie, l’essentiel est de sentir la main, le geste et l’intention de l’artisan qui l’a créé.

Iksel, 20, rue Bonaparte 75006 Paris, www.iksel.com

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Janvier 2023 – Causeur #108

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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