Chaque année, nous avons droit à notre Tardi de Noël. Il sent bon le papier Munken Pure de 130 g, un peu fort comme un alcool de contrebande, distillation à l’ancienne et effluves poisseuses d’un lendemain de cuite. Il n’y a pas à dire, Futuropolis fait bien les choses. La maison d’édition prépare physiquement le lecteur à vivre une aventure où, forcément, il y aura des morts violentes, des filles aux seins lourds, des psychopathes hypocondriaques, d’habiles manchots et de poussives Simca 1100. Après Le Petit bleu de la côte Ouest, Griffu ou La Position du tireur couché, Tardi adapte encore un roman de Jean-Patrick Manchette, Ô dingos, ô châteaux !, Grand Prix de Littérature policière en 1973.
On peut ironiser sur cette rente annuelle qui tombe à l’automne comme la taxe d’habitation et la redevance télé. Tardi exploite ses filons jusqu’à l’os. Le monde de Céline − avec qui il partage un attrait pour les macabres tranchées de 14-18 − et celui de Léo Malet sont déjà passés entre ses pinceaux et ses feutres. Les vertueux qui ont souvent des gueules de chiens de garde crient à l’exhumation mercantile. En tout cas, soyons sans illusions : sans Tardi et la puissance de son trait, ces grands auteurs finiront par périr dans de poussiéreuses bibliothèques. Bardamu sortira des programmes et des mémoires.[access capability= »lire_inedits »]
Tardi fait partie de ceux qui ont ramené la littérature, donc le réel, dans la BD, créant des personnages « décadents », sans avenir et sans illusions, qui errent dans les années 1970, sa période-fétiche. Dans Ô dingos,Ô châteaux !, Julie, une fille déséquilibrée au grand coeur et Peter, un petit orphelin millionnaire et tête à claques, connaissent toutes les misères qui arrivent aux héros romantiques et tous les malheurs qui s’abattent sur les misérables.
Si Tardi arpente la carte du sombre, Cosey préfère les apaisants mystères de l’Asie qu’on découvre avec Jonathan, son double littéraire. On ressort de Atsuko apaisé, léger, serein, comme réconcilié avec la nature. Le trait de Cosey est sensible à l’extrême, dessinant des vignettes qui sont autant d’estampes japonaises. Les couleurs sont douces. La nouvelle génération de la BD aime le grand spectacle, les planches où l’action explose, saturant chaque case de couleurs pétantes. Cosey maîtrise ses émotions. Et cette retenue fait littéralement chavirer le lecteur dans un monde parallèle, empli de merveilles comme ce petit temple de Kyôto enseveli sous la neige devant lequel on a soudain la certitude d’être en présence de grand art.[/access]
Ô dingos, Ô châteaux ! par Manchette-Tardi/Futuropolis
Atsuko, par Cosey, aux éditions du Lombard dans la série « Jonathan »
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