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BD sur l’ « Histoire de Jérusalem », une référence ? Non !

Espérons que d'autres ouvrages sauront éclairer les lecteurs à l’heure où des drames se jouent.


BD sur l’ « Histoire de Jérusalem », une référence ? Non !
Couverture de la bande dessinée l' "Histoire de Jérusalem" © Les Arènes BD

Les 4000 ans d’histoire résumés par les auteurs ne permettent pas au lecteur de comprendre les enjeux actuels au Moyen Orient. Quoique louangée par les médias bien-pensants, cette BD ne présente qu’une vision partiale et partielle des événements.


Enfin, j’ai lu l’Histoire de Jérusalem, la fameuse bande dessinée que l’on voit affichée sur les murs du métro et dans les devantures de bien des librairies. Le Nouvel Obs nous promet « une plongée lumineuse et rigoureuse de 250 pages pour comprendre les racines du conflit israélo-palestinien ». 250 000 exemplaires sont déjà vendus, la bande dessinée fait partie des meilleures ventes, et c’est par elle que tout un chacun essaie de comprendre l’histoire du Proche-Orient. En ce qui me concerne, à l’étonnement devant la présentation historico-religieuse choisie a succédé le dépit de penser qu’un ouvrage si tendancieux faisait figure de référence.

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Premier chapitre, « Au commencement était le Temple – 2000 / – 586 ». L’ambition est de présenter le substrat religieux, entre -2000 et -586. Cela se fait malheureusement dans un manque de chronologie et d’intelligibilité. Voici quelques exemples de l’approche choisie : Les noms des lieux, ainsi que ceux d’Abraham et de Moïse sont immédiatement donnés en hébreu et en arabe. L’intention inclusive est louable, mais ce territoire n’est-il pas entièrement imprégné de sa toponymie hébraïque ancestrale, et cet ancrage dans la langue n’est-il pas une clef de compréhension ? Plus prosaïquement, utiliser la langue arabe, dont la plus ancienne inscription date de +267, a-t-il un sens dans ce chapitre ? En revanche, un grand absent dans cette présentation est Jacob Israël, dont la terre porte le nom. Un Juif présente Moïse comme un « prince égyptien » libérant les Hébreux, et l’on apprend que les musulmans vénèrent la tombe de « Nabi Moussa » près de Jéricho, « il paraît que c’est très beau » précise V. Lemire qui sort de la neutralité attendue d’un historien. Pourtant, présenter d’abord Moïse comme un Hébreu libérant son propre peuple, et lui offrant une destinée basée sur une promesse, permettrait de mieux comprendre comment histoire et mythes fondateurs s’entremêlent.

Dans une singulière chronologie, on passe ensuite à Abraham, qui « serait venu à Jérusalem pour sacrifier son fils […] Isaac selon la tradition juive, Ismaël selon la tradition musulmane ». On ne sait qui est qui : y a-t-il un fils ou deux fils ? Quelle est l’histoire originelle ? Le lecteur sans souvenir de l’histoire biblique est laissé dans un flou ambigu, entre Bible et Coran. La Bible est ainsi dépossédée de son antériorité et de son intérêt particulier pour la compréhension de cette terre.

Traitement à géométrie variable

Dans la suite de l’album, les violences de la conquête arabe ne sont que très pudiquement évoquées, et la lecture ne permet pas de saisir le statut inférieur des Juifs et des Chrétiens sous domination musulmane. Concernant la cause des croisades, l’interdiction de l’accès aux lieux saints chrétiens par les Turcs ottomans n’est pas mentionnée, et quand on parle de « véritable razzia », c’est uniquement pour désigner de terribles exactions chrétiennes. L’auteur présente très classiquement les sionistes comme des colonialistes occidentaux ne comprenant rien à la terre de l’ancien Israël, et apportant la guerre dans un pays où tous vivaient harmonieusement. Dans l’ouvrage, quand un Juif européen rencontre un Juif de Palestine ottomane, ils n’ont aucune langue commune ; évoquer l’usage avéré de l’hébreu comme langue véhiculaire, bien avant sa renaissance massive, rappellerait pourtant utilement la part levantine du monde ashkénaze.

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Ainsi, rien dans le texte de V. Lemire ne peut nous faire comprendre que l’aspiration des Juifs d’Europe vers la terre d’Israël est une auto-émancipation[1] sur la terre de leurs ancêtres. L’histoire du XXe siècle est succincte, et révèle des choix manquant d’équilibre : Les pogroms de 1834[2], 1838, 1921 sont ignorés et celui de 1929[3] est essentiellement présenté comme un affrontement expliqué par les revendications juives sur le mur occidental (“mur des lamentations”). Le mot « terroriste » est uniquement “juif”, il désigne les auteurs de l’attentat contre le commandement britannique à l’hôtel King David en 1946. Le massacre de Deir Yassin[4] est évoqué, mais pas le massacre du convoi juif pour l’hôpital du mont Scopus[5]. Excepté le plan de partage de la Palestine en 1947, aucune des propositions de séparation acceptée par les Juifs et refusée par la partie arabe n’est mentionnée. La famille Husseini est présentée comme une famille de notables, l’extrémisme avéré du mufti Mohammed Amin al-Husseini, ami de Hitler ayant radicalisé la position arabe et inspiré le Hamas est oublié. Il est bien précisé qu’Arafat a vécu dans un quartier de Jérusalem, mais il est omis de dire qu’il n’y a vécu que quatre années d’enfance, qu’il est né en Égypte et y est retourné à l’âge de 8 ans. Quelle tristesse ! Outre l’antisémitisme décomplexé qui promet des voix lors des élections, le lecteur néophyte découvre avec V. Lemire une histoire soigneusement triée, qui rend impossible le discernement et la compréhension des différentes parties. Espérons que d’autres ouvrages[6], porteurs de paix et de nuance, sauront éclairer les lecteurs à l’heure où des drames se jouent.

Histoire de Jérusalem

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Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950)

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Nous vivrons - Enquête sur l'avenir des juifs

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[1] cf. Georges Bensoussan https://youtu.be/x7uo-SsQjho?si=Axj4iQ0L2_o7h7Z0, Simon Epstein.

[2] Pour l’année 1834, V. Lemire retient l’incendie du Saint Sépulcre lors de la Pâque orthodoxe, et la panique qui s’en est suivie entraînant 400 morts. Les autorités musulmanes apparaissent comme pacificatrices et raisonnables face à des traditions chrétiennes “grotesques”. L’auteur ne mentionne pas le pogrom opéré à quelques kilomètres de là, prémices du conflit actuel. “Le pogrom proprement dit débute le 15 juin 1834. Il dure trente-trois jours. C’est un carnage. Les villageois arabes et bédouins ainsi que les habitants de Safed (dont des Turcs) qui se sont armés, massacrent les Juifs et violent leurs femmes. On compte probablement plus de cinq-cents morts.” Georges Bensoussan, “Les pogroms en Palestine avant la création de l’État d’Israël (1830-1948)”, avril 2024 : https://www.fondapol.org/etude/les-pogroms-en-palestine-avant-la-creation-de-letat-disrael-1830-1948/

[3] Lire Georges Bensoussan, ibid.

[4] Le massacre de Deir Yassin s’est déroulé le 9 avril 1948 au terme de la prise du village de Deir Yassin. Les historiens évaluent aujourd’hui le nombre de tués à 107 ou 110.

[5] Le 13 avril 1948, quatre jours après la tragédie de Deir Yassin, a lieu la mise à mort d’un convoi sanitaire du Maguen David Adom (l’équivalent juif de la Croix-Rouge). 77 personnes périssent brûlées vives. Lire Georges Bensoussan, ibid.

[6] Georges Bensoussan, Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), Gallimard, « Que sais-je? », 2023 ; Joann Sfar, Nous vivrons. Enquête sur l’avenir des Juifs, Les Arènes, 2024.



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