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Bayrou: le vertige du Rubicon

Le billet de Dominique Labarrière


Bayrou: le vertige du Rubicon
François Bayrou, 8 février 2024 © Capture France info.

Notre chroniqueur s’amuse du petit caprice du dernier grand phare de notre vie politique nationale…


Nul ne peut le contester, Monsieur Bayrou est un homme de conviction ferme et d’opinion du même métal. L’opinion qu’il a de lui-même, tout d’abord, extrêmement positive, favorable, flatteuse, adossée à la conviction que, sans lui, la France aurait depuis belle lurette basculé dans le gouffre de néant au bord duquel elle ne cesse de faire l’équilibriste.

Blanchi au bénéfice du doute – le doute en ces matières est, pour l’opinion publique, ce petit rien qui empêche tout simplement de laver plus blanc que blanc – acquitté, donc, il pouvait légitimement voir s’ouvrir devant lui au plus large les portes du gouvernement. Au plus large, disais-je, car il visait haut. Il avait, fort de l’opinion et de la conviction tout juste évoquées, des exigences que de mauvaises langues, des esprits mesquins pourraient qualifier de caprices de diva. Le bruit a couru qu’il se voyait volontiers au moins ministre d’État, numéro 2 du gouvernement, ce qui, dans son esprit devait sans doute être pris pour une manifestation de grande modestie, d’extrême humilité, tellement il paraît persuadé que la première place, partout et toujours, doit lui revenir pratiquement de droit.

M. Bayrou nous donne l’impression de se comporter vis-à-vis du président de la République comme ces barons turbulents et infatués du Moyen Âge qui ne se gênaient guère de harceler leur roi élu de cette pique destinée à le ramener à résipiscence lorsqu’il se prenait pour plus qu’il n’était ou se la jouait par trop perso. «  N’oublie pas qui t’a fait roi ! », lui lançaient-ils. À quoi il avait beau jeu de rétorquer : « N’oubliez pas qui vous a fait barons ? » M. Bayrou, en effet, ne laisse passer aucune occasion de rappeler à qui veut l’entendre que sans lui et son ralliement en rase campagne lors de la présidentielle de 2017, de M. Macron à l’Élysée il n’y aurait pas eu. Cela n’est pas faux. Mais c’est loin, déjà. Or, le temps passe vite et le souvenir des bienfaits plus vite encore, surtout en politique ou la reconnaissance est une vertu de faible amplitude et de courte vie.

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La voie gouvernementale se serait bien trouvée ouverte devant M. Bayrou, certes, mais pas assez royale. On lui parlait Armée, il ambitionnait Éducation nationale ou un grand ministère de réconciliation entre ceux d’en bas et ceux d’en haut. (On passera sous silence le fait que cette belle mission aurait pu être le cœur d’ouvrage du Haut-Commissaire au plan qu’il était et est sans doute toujours, encore qu’on ait parfois du mal à le situer avec précision).

Bref, refusant l’entrée au gouvernement et se retirant sous sa tente tel Achille, M. Bayrou a tenu à porter à la connaissance du public son désaveu de la politique gouvernementale. En général, ce rôle de contempteur de l’exécutif est le domaine réservé et la zone de confort de l’opposition. Qu’à cela ne tienne ! Malgré cette dissonance plutôt mal venue surtout en ce moment, notre homme tient à réaffirmer son appartenance et celle de ses troupes à la majorité présidentielle. Comme quoi le « en même temps » parvient quelquefois à faire école. Pourtant, on le sent peu ou prou atteint du vertige du Rubicon. Au bord de la rupture, au bord de franchir le pas ultime. Il n’est pas le premier en politique à se trouver sur la rive de ce fleuve. La tentation du Rubicon vient inévitablement titiller tout ambitieux véritable. Il y a ceux, plutôt rares, qui l’ont franchi pour de bon et avec succès, tel M. Macron en son temps ; ceux plus nombreux qui s’y sont noyés. Et ceux plus nombreux encore qui n’ont fait qu’y barboter. À leur plus grande honte et désavantage. M. Bayrou a donc le choix. On tâchera de suivre cela, si possible avec passion.

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernières parutions : "Marie Stuart: Reine tragique" coll. Poche Histoire, éditions Lanore. "Le Prince Assassiné – le duc d’Enghien", coll. Poche Histoire, éditions Lanore.

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