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Bayrou, Ferrand, Sarnez: les infortunés de la vertu


Bayrou, Ferrand, Sarnez: les infortunés de la vertu
Elisabeth Lévy. Photo: Hannah Assouline
Elisabeth Lévy. Photo: Hannah Assouline

D’accord, ils l’ont bien cherché. Si on n’avait pas bon cœur, et surtout si tout le pays ne risquait pas d’être embarqué dans une épuisante entreprise d’épuration permanente, on s’amuserait de voir nos nouveaux gouvernants, en moins d’un mois, dans la nasse ridicule qu’ils ont contribué à tisser pour d’autres. La morale, c’est chouette pour faire le beau sur les estrades, mais c’est comme cracher en l’air : ça vous retombe dessus. Et quand ça dégouline sur vos belles chaussures et vos airs proprets, ça semble plutôt gluant. En tout cas, cette folle course à la vertu, qui s’est accélérée depuis la primaire de la droite en novembre, évoque des dodos de bande dessinée, vous savez ces oiseaux idiots qui courent avec entrain vers le suicide collectif.

Le retour de bâton n’a pas traîné

Ne revenons pas sur François Fillon et son malheureux « Imaginez-vous le général de Gaulle mis en examen ? », en deux mois c’était plié. François Bayrou, alors, n’avait pas de mots assez durs pour un homme qu’il disait « inféodé aux forces de l’argent », et toute la Macronie, drapée dans sa supposée pureté, regardait avec une hauteur un brin compatissante ce vieux monde où les intérêts privés venaient se superposer et parfois se substituer au service du public.

« Au-delà de savoir si ce qu’il a fait est légal, les Français se demandent si c’est acceptable », tonnait un certain Richard Ferrand. La nouvelle politique façon Macron serait transparente, bienveillante et innocente – ce qui signifie qu’elle n’aurait plus grand-chose à voir avec le pouvoir, ses affres et ses vices. Sauf que pour y parvenir, ce n’est pas la politique qu’il faudrait changer mais la nature humaine.

L’Histoire étant parfois très espiègle, le retour de bâton n’a pas traîné. Moins de deux semaines après le glorieux couronnement du[access capability= »lire_inedits »] président chevalier blanc (« Global leader. Our président », a tweeté Marlène Schiappa en english dans le texte), l’affaire Ferrand venait calmer les ardeurs inquisitoriales. Pas de scandale d’État, peut-être, mais un art de la combine qui fleure la politique d’avant et même d’avant avant – très balzacien ce Richard Ferrand[1. Je l’avoue, que cela tombe sur un ministre connu pour ses sympathies « pro-palestiniennes », ce qui en bon français signifie farouchement anti-israélien, ne me déplaît pas. Justice immanente ?]. Tandis que la justice tentait, plusieurs jours durant, de regarder ailleurs, avec une prudence très éloignée de la célérité observée pour Fillon, le gouvernement abandonnait prudemment le terme de « moralisation » pour celui, moins engageant, de « confiance ». Trop tard : la machine à broyer était lancée et, maintenant qu’on a réveillé ce que l’esprit sans-culotte a de plus inquiétant et de plus malveillant, on ne l’apaisera pas si aisément. On a persuadé les Français qu’ils voulaient et devaient tout savoir de leurs élus. Et maintenant que nous sommes tous des petits individus-dieux, nous avons drôlement soif. Au premier rang des nouveaux droits de l’homme dont nous sommes si fiers, figure désormais celui de regarder dans l’assiette de son voisin et dans la culotte de sa sœur, ainsi que dans le passé de toute personne publique. À La République en marche, on croit tellement à la réhabilitation par la justice qu’on a décidé d’écarter des affaires toute personne ayant un casier judiciaire. Bien entendu, les dénonciations ont commencé à pleuvoir : celui-ci a été accusé « d’optimisation fiscale », celui-là aurait fait faire de fausses attestations dans un conflit prudhommal. Grâce à internet, chacun peut être le juge, le flic et le procureur de ses frères.

Le plus triste, c’est que tout le pays ou presque semble communier dans une définition de la morale qui la situe exclusivement au niveau du porte-monnaie. Peu importe que vous trahissiez vos amis et vos idées, que vous soyez lâche ou dépourvu de toute vision historique, nous exigeons avant tout que nos dirigeants soient propres sur eux financièrement, ce qui ne veut pas seulement dire qu’ils doivent être irréprochables dans la gestion des deniers publics, mais aussi qu’ils doivent toujours l’avoir été dans leurs affaires privées. J’ignore comment Churchill tenait ses comptes personnels, mais je suis convaincue qu’il n’aurait pas plus obtenu l’investiture LREM que Mazarin, dont Zemmour a rappelé que sa corruption ne l’avait pas empêché d’œuvrer à la grandeur de la France. De sorte que nous nous exposons à n’avoir désormais que deux types d’élus : des perdreaux de l’année, sans consistance, sans passé, sans bosses et sans balafres, capables d’ennuyer même un détecteur de mensonges. Et des menteurs assez habiles ou fortunés pour s’acheter un CV vierge. Si vous voulez avoir un avenir, débrouillez-vous pour ne pas avoir de passé.[/access]

Juin 2017 - #47

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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