Ils se demandent si les casseurs n’ont pas un petit peu raison et si les terroristes n’ont pas des raisons. Mais pour Denis Baupin, pas la plus petite circonstance atténuante. Condamné sans procès à la mort sociale, pour propos et messages lubriques, sans oublier une tentative d’extorsion de baiser à main armée, c’est-à-dire baladeuse. Des fautes qui méritent le mépris, une blague cinglante ou une bonne paire de claques, peut-être pas un tel unanimisme dans l’opprobre. Toutes les bonnes âmes de droite ou de gauche qui communient dans la dénonciation du pêcheur évoquent irrésistiblement les croquantes et les croquants de l’Auvergnat de Brassens, à qui leur bonne conscience donne le droit de haïr en chœur. Baupin est désormais un monstre, ce qui est un brin excessif, même pour le dragueur compulsif et lourdingue qu’on nous dit qu’il est. Auquel cas il est surtout coupable de tartufferie, car il était jusqu’à présent l’un des plus grands dévots de la lutte « antisexiste », version rouge à lèvres pour tous.
Ce qui devrait étonner, me souffle un ami que je ne dénoncerai pas, ce n’est pas ce que Baupin est supposé avoir fait, c’est qu’il n’y ait pas beaucoup plus de Baupin qui fassent bien pire. Nos désirs ne sont bestiaux, poursuit-il, mais des siècles de civilisation nous ont appris à sortir avec une muselière. La norme, c’est qu’un homme ça s’empêche. Dans nos contrées en tout cas.
Tout le monde devrait se féliciter que le consentement des femmes soit désormais une barrière infranchissable par le désir des hommes. Mais le pénible scandale Baupin a promptement été « majusculisé » pour devenir la preuve de la perpétuation d’un ordre patriarcal qui n’existe plus depuis belle lurette. Sauf dans certains territoires où il est précisément interdit de le voir car ce serait raciste. Or, à l’exception des endroits où il règne en maître, le machisme est partout, nous dit-on, et ces dames veulent faire savoir qu’elles ont été, sont ou seront un jour victimes de harcèlement. Après la tribune des 40 journalistes, on a eu droit à celle des 17 anciennes ministres. Toutes ont vécu le drame terrible d’être désirées, parfois explicitement, le plus souvent avec les yeux. On se demande comment elles ont tenu bon. Pire encore : après le scandale, on continuerait à faire des blagues salaces à l’Assemblée, révèle Slate, qui a envoyé un reporter traquer les propos graveleux. Enfin, on apprend dans le JDD que, lors de la réunion du groupe socialiste où ces dames ont évoqué l’affaire, eh bien, croyez-le ou pas, « pendant qu’elles parlaient, elles entendaient des rires ». Des rires, ça va chercher dans les combien ?
En public, pas question de rigoler !
Il faut donc craindre que cette affaire marque une nouvelle étape dans l’entreprise de normalisation des relations entre les hommes et les femmes, donc de la sexualité, menée sous la bannière mensongère du féminisme. Nos victimes enragées ne se contentent plus de la muselière librement consentie par les hommes, elles entendent punir toute expression du désir masculin, qu’elles s’efforcent de ligoter dans une véritable camisole anthropologique en imprimant dans les cerveaux l’idée que tout homme est coupable et toute femme victime. Il convient donc de recenser, de compter, de déplorer et, plus que tout, de punir sans relâche les innombrables avanies dont est faite la vie des femmes. Nul ne se plaindra que les violences réelles soient sévèrement sanctionnées. Mais nos justicières n’auront de cesse que tout propos un peu leste, toute allusion vaguement érotique, tout regard légèrement suggestif soit passible des tribunaux. La réalisatrice Lisa Azuelos s’est brusquement avisée que « les femmes n’avaient pas de mots pour désigner les violences qui leur sont faites ». Pour combler ce vide sémantique, elle a inventé le terme « gynophobie ». Et pas pour la blague : il s’agit bien, précise-t-elle, d’un outil judiciaire.[access capability= »lire_inedits »]
Comme toujours, devant ces numéros d’oie blanche s’agitant pour savoir laquelle est la plus traumatisée, on commence par hurler de rire. D’ailleurs, en privé, toute la France se marre, y compris ceux qui, à la télé, proclament avec des mines solennelles qu’ils ne se tairont plus (mais quand diable se sont-ils donc tus ?). Seulement, en public, pas question de rigoler. Personne ou presque n’ose moufter contre le vent. Cette obligation de schizophrénie est bien la preuve que ce féminisme victimaire s’impose comme une vérité officielle par une forme de terreur idéologique. Personne n’y croit, mais tout le monde doit faire semblant. Pas pour sauver sa peau, bien sûr. Pour avoir la paix.
Luc Le Vaillant aurait dû réfléchir à deux fois avant d’écrire ce qu’il pensait. Dans un texte intitulé « La Complainte du mâle aimé », publié le 23 mai sur le site de Libération, le chroniqueur redoute que l’affaire Baupin « sape les fondations d’un mélange des genres dont s’enorgueillissaient les travailleuses et les travailleurs, les coquelets et les poulettes, ravis de badiner sur leur tas de fumier, fiers de ne pas avoir à défiler devant huissier pour se dragouiller ». Ces charmantes images lui ont valu un torrent de boue numérique et, peut-être, un procès à l’intérieur de sa rédaction. Le benêt, sans doute s’est-il cru dans un pays libre.
En tout cas, mon ami a tort. Que, dans cette ambiance, des hommes continuent à désirer des femmes prouve qu’ils sont encore des hommes. Avec juste ce qu’il faut de sauvagerie.[/access]
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