Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
« Il est vraiment superflu, après toutes ces considérations, d’insister sur le caractère immoral du haschisch. Que je le compare au suicide, à un suicide lent, à une arme toujours sanglante et toujours aiguisée, aucun esprit raisonnable n’y trouvera à redire. » Non, il ne s’agit pas d’une déclaration de Gérald Darmanin s’opposant à l’intention de certains députés, y compris de la majorité, de légaliser le cannabis. C’est Charles Baudelaire qui s’exprime avec une telle sévérité. L’image fausse que l’on a du poète d’Enivrez-vous en a fait un amateur de tout ce qui pouvait chasser son spleen. Baudelaire, dans Les Paradis artificiels se livre, au contraire, à un réquisitoire contre une substance qui finit par casser la volonté sans pour autant calmer la souffrance. Le diagnostic sera d’ailleurs partagé par le poète Henri Michaux qui consacrera à la drogue un recueil intitulé Misérable miracle.
Le 26 mars 2021, Olivier Véran, pourtant, annonçait : « C’était un de mes engagements de médecin, je l’ai porté à l’Assemblée nationale en tant que député, et je suis fier de l’annoncer en tant que ministre : la France expérimente l’usage médical du cannabis. » Baudelaire aurait, là, applaudi des deux mains. Sa biographie révèle que ses premières prises de cannabis étaient liées à des névralgies violentes, comme il l’écrit dans une lettre à Sainte-Beuve : « Il y a bien longtemps que j’aurais dû vous répondre ; mais j’ai été saisi par une névralgie à la tête qui dure depuis plus de quinze jours ; vous savez que cela rend bête et fou. » Le problème est que les médecins à l’époque de Baudelaire n’avaient pas mis au point ce fameux cannabis thérapeutique.
À lire aussi, Stéphane Germain : Cannabis: prohibition, piège à cons
Gérald Darmanin, lui, depuis son fameux « Je ne légaliserai pas cette merde », a provoqué la colère d’Éric Correia, élu de la Creuse, département pilote dans la culture du cannabis médical : « Je regrette qu’il mène ce combat contre le cannabis en mélangeant son utilisation thérapeutique et récréative. » D’autant plus que la France est une championne de la consommation de drogues légales comme les anxiolytiques, ce qui n’est pas sans rappeler Le Meilleur des mondes. Huxley montre comment sa société dystopique tient grâce au soma : « Il y a toujours le soma pour calmer votre colère, pour vous réconcilier avec vos ennemis, pour vous rendre patient et vous aider à supporter les ennuis. On avale deux ou trois comprimés d’un demi-gramme, et voilà. Tout le monde peut être vertueux, à présent. On peut porter sur soi, en flacon, au moins la moitié de sa moralité. »
Autant dire qu’il demeure une certaine hypocrisie sur la question et qu’on peut préférer que les futurs Baudelaire soient calmés par le cannabis thérapeutique plutôt qu’assommés par le soma-Lexomil.