Dieu, Woody Allen et moi


Dieu, Woody Allen et moi

Woody Allen

« Vaste programme ! », direz-vous, en imitant la voix du général de Gaulle, plus ou moins bien selon votre âge et vos dons.

Eh bien, ce n’est pas tout ! Pour le même prix, on évoquera également ici Sparks et Pasqua, Michel Onfray, Jean Yanne et le cinéma nazi… Et bien d’autres choses encore, que je ne voudrais pas spoiler plus avant.

 

L’INVASION DES ANARS DE DROITE GÉANTS

Samedi 30 mai, « On n’est pas couché » / Olivier de Kersauson fait la promo de la énième compile posthume de son pote Jean Yanne, préfacée par ses soins. Je ne l’achèterai sûrement pas ! Non seulement le procédé m’agace, mais j’en ai déjà quatre volumes dans ma bibliothèque, et ils n’en finissent pas de se recopier.

N’empêche ! Ce soir, avec sa liberté de ton, Kersauson nous change agréablement du train-train hebdomadaire de ce « divertissement », désormais plus proche de Hanouna que de Taddeï. Grâce à son charisme, le type installe sur le plateau une ambiance audiardienne qui s’avère contagieuse. Non seulement Ruquier est client, mais Caron ne moufte pas – et Léa Salamé ira jusqu’à regretter, à travers Jean Yanne, « l’époque où on pouvait encore assumer d’être un anar de droite ».

T’inquiète, Léa ! Cette engeance-là n’est pas près de disparaître. Un anar de droite digne de ce double « non » se reconnaît à un certain scepticisme envers la Nature humaine, le Progrès et les Autorités – ainsi qu’à cette dérision bien ordonnée qui commence par soi-même. Or ce sont là les ingrédients mêmes de l’esprit[1. À ne pas confondre avec l’humour drôle (Jamel, Bigard) ni le ventriloquisme comique (Gerra, Canteloup).].

S’il ne fallait qu’une preuve de la permanence, et même du renouveau de cet esprit « anar de droite », elle s’appellerait Gaspard Proust. Ce type-là tient chronique dans Salut les Terriens, l’hebdo d’Ardisson sur Canal+, avec une liberté de ton incroyable sous nos cieux. Et depuis 2008 ses one man shows, produits par Ruquier en personne, font partout salles combles – mais de plus en plus grandes. Son prédécesseur chez Ardisson, Stéphane Guillon, n’amusait ordinairement que la gauche sous la droite, et encore…[access capability= »lire_inedits »]

Comme il y a un Drame de l’humanisme athée, magnifiquement diagnostiqué par le R.P. de Lubac, il existe aussi une tragédie de l’humour progressiste, qui ne s’autorise que les rires « citoyens », voire militants. Autant dire rien.

Kersauson, Yanne, Muray, Vialatte et Proust (Gaspard), sans oublier Audiard (Michel) : ces gens-là incarnent, eux, l’authentique esprit anar de droite – et donc l’esprit français tout court, si m’en croyez.

 

QU’EST-CE QU’ONFRAY SANS LUI ?

Lundi 8 juin / En réponse à mon envoi dédicacé du Cahier de vacances catho, coécrit avec Richard de Seze, Michel Onfray m’adresse le SMS suivant – que je reproduis ici avec son autorisation :

« Cher Basile.
Bien reçu votre Caté. C’est drôle, bien fait, informé. Ça donne envie d’être catho !
Je me permets juste de signaler une faute : la réponse au quiz de la p. 11 n’est pas 6/F, mais 6/A !
Amicalement. »

Pour apprécier pleinement le clin d’œil, on se reportera utilement au document ci-joint. En ce qui me concerne, à la réception de ce poulet, inutile de vous dire que j’ai été ravi – mais pas plus étonné que ça. C’est que j’avais déjà appris à le connaître, le gaillard, et il gagne à l’être ! En plus il se bonifie avec l’âge contrairement à ses collègues, nés imbuvables pour la plupart.

Basile cahier de vacances catho

Le cahier de vacances catho, éditions du Cerf, p. 11
Bien entendu, j’avais commencé par planter des épingles dans une poupée à son effigie. C’était à l’époque du Traité d’athéologie (2003) ; il y accusait les religions, et surtout les « trois religions du Livre » (?), et tout particulièrement la mienne, d’imposture sanglante. Des fariboles fondées sur des légendes, n’engendrant qu’aliénations, douleurs et guerres… Où est-ce qu’on signe ?

Je sais bien que, sous nos latitudes actuelles, la plupart des gens pensent, ou croient penser comme ça. Mais Michel est un garçon plus ouvert d’esprit que la moyenne – sauf sur ce sujet, apparemment.

Malin en tout cas, ce petit Satan-là ! Son pamphlet déguisé en « traité » crée l’événement, reçoit les louanges de la-critique-qui-compte et devient un best-seller. Son premier, même, après une bonne quinzaine de bouquins ; il retiendra la recette du scandale, sans en abuser d’ailleurs. Quant aux « menaces de mort » qu’il se plaint d’avoir reçues à l’occasion, aucune n’a abouti apparemment, grâce à Dieu[2. D’ailleurs, à ce compte-là, même moi j’en ai reçu, des menaces de mort. Généralement, ce n’est pas suivi d’effet.].

Plus tard, j’ai découvert que Michel n’hésitait pas à s’en prendre aussi aux vraies idoles de l’époque, et notamment à Freud (Le Crépuscule d’une idole, 2010).

Là encore, il bat des records de ventes ; mais cette fois, au prix de la bienveillance dont il avait bénéficié jusque-là dans les « milieux autorisés ».

Traité soudain, il s’en souvient encore, de « facho », de « nazi » voire de « pédophile », non par le peuple mais par l’élite, Onfray ne plie pas. Au lieu de courber l’échine comme il se doit pour être « coopté », il se « révolte », à l’instar de son idole à lui, Camus. En 2012, à l’occasion d’un bouquin sur Albert (L’Ordre libertaire), l’auteur égratigne Sartre jusqu’à l’os – sachant qu’il s’attirera ainsi à coup sûr les foudres du lobby intellectuel sartro-beauvoirien.

Un vaste réseau, et moins mort qu’on ne le croit. Dormant certes, faute d’actualité, mais capable de se réveiller à tout moment pour faire la chasse aux profanateurs de Sartre. Le dernier, ça devait être il y a trente ans, et il n’y a pas survécu. Onfray, lui apporte des biscuits : il s’est tapé toute la Correspondance, en plus des œuvres, et ce qu’il en rapporte est monstrueux, surtout si c’est vrai.

Du coup, voilà notre redresseur de torts intellectuels dans le collimateur ; il suffira d’un prétexte pour le faire basculer d’autorité dans le camp du Mal, lui qui a toujours bien voté (Besancenot, Bové, Mélenchon…).

Le couperet tombe un jour comme ça, au prétexte d’un tweet où il dit en substance : « Avant d’enseigner aux enfants la théorie du genre, on ferait mieux de leur apprendre à lire, à écrire et à compter. »

Flagrant délit de coming out réactionnaire ! Et tout le camp progressiste de le mettre en quarantaine… Eh bien il s’en fout, le philosophe – et il le prouve en traitant de « crétin » le premier ministre – qui, il faut le dire, l’avait attaqué sans le lire.

C’est comme ça qu’on l’aime, Michel ! Son côté de plus en plus « clivant », sa diabolisation même (le comble, pour un athée), il les assume avec la distance nécessaire, voire une certaine délectation. Avec le temps, Onfray s’est délesté des totems et tabous intellectuels, médiatiques et sociaux de l’époque. Du coup, il ne cesse de prendre de la hauteur… Jusqu’à quels cieux ?

 

LA PARABOLE DE WOODY

Mardi   juin / J’ai d’excellents amis athées ! N’empêche, ils me font irrésistiblement penser à Woody Allen dans Prends l’oseille et tire-toi. Il met en scène un voleur qui découpe soigneusement, à l’aide d’un diamant, la vitrine d’un joaillier, et part en courant avec son rond de verre sous le bras.

Beaucoup de gens n’agissent-ils pas ainsi avec la vie, mes frères ? Sans aller jusqu’à faire de Woody un Père de l’Église, son message pourrait servir de base à de sacrés sermons, genre : nous avons des trésors à portée de la main, et nous nous contentons de chiper des babioles…

Sous prétexte que les diamants pourraient être des faux, on se rue sur la verroterie. Une fois de plus, Chesterton avait raison : l’athéisme, c’est comme la solitude, ça n’existe pas. « Quand les hommes cessent de croire en Dieu, ce n’est pas pour croire en rien ; c’est pour croire à n’importe quoi. » Et ne me demandez pas la liste de ces « n’importe quoi » ; vous la connaissez aussi bien que moi, hélas.

 

LA FOLLE HISTOIRE DE L’EUTHANASIE

Mercredi 17 juin / Vu ce soir sur Arte, un intéressant documentaire intitulé Les Films interdits du IIIe Reich. Entendre par là, non pas les œuvres cinématographiques proscrites par Goebbels, mais les 40 films nazis encore censurés depuis la chute du régime (ils étaient 300 en 1945).

Leur projection n’est autorisée, nous explique-t-on, qu’à la condition d’être « strictement encadrée », c’est-à-dire précédée d’une introduction en forme de recontextualisation et suivie d’un débat sur l’indispensable distanciation. Soixante-dix ans après, la propagande nazie serait-elle encore « de la bombe, Bébé ! », comme disait Joey Starr ?

Les spécialistes interviewés dans le doc sont divisés. Certains prônent la levée de cette interdiction « désuète » ; d’autres estiment que les films en question peuvent encore « avoir un pouvoir de nuisance, notamment auprès des jeunes ». À voir l’éventail des œuvres présentées, on se dit que cette « liste noire » mériterait au moins un petit balayage.

Pour les films de pure propagande nazie, raciste et antisémite comme Le Juif Süss, Le jeune hitlérien Quex, etc., les « projections encadrées » semblent toujours compréhensibles. Mais que vient faire dans cette galère Stukas ! comédie musicale kitschissime qui semble inspirée par Springtime for Hitler – un triomphe à Broadway dans les délirants Producteurs de Mel Brooks ?

Le cas le plus paradoxal, c’est celui de Suis-je un assassin ? (« Ich Klage an »), réalisé en 1941 par un certain Wolfgang Liebeneiner à la demande expresse de Goebbels. L’objectif du ministre de la Propagande : faire passer en douceur un plaidoyer pour l’euthanasie – noyé dans les larmes d’une bouleversante histoire d’amour, pour ne pas heurter les sensibilités luthériennes.

Le pitch : un mari met fin aux souffrances de son épouse, atteinte d’un mal incurable, à sa demande et en un ultime acte d’amour. À propos d’Amour, comment ne pas penser ici au film de Michael Haneke, palmé à Cannes en 2012, nommé 5 fois aux Oscars et 5 fois césarisé ? En ces temps d’intense débat sur l’euthanasie, pourquoi censurer un film précurseur, qui abordait déjà le sujet il y a soixante-quinze ans ?

Mais si ça se trouve, c’est justement ce rapprochement qui pourrait agacer les partisans d’une euthanasie « démocratique ». Loin de moi, en tout cas, l’idée d’assimiler ceux-ci à des nazis sous prétexte que ça rime, comme s’en indignait Kouchner. Il n’y a que l’ami Bernard pour oser se dresser même contre l’étymologie s’il le faut !

Pour ma part, je ne trouve même pas « scandaleux » le jeu de mots « eutha-nazi » lancé par les « pro-vie » ; juste un peu foireux. Mais après tout, chez Lacan aussi ça arrive, et pourtant ses blagues sont censées « faire sens quelque part ». Alors va savoir.

 

SPARKS RAJEUNIT FRANZ FERDINAND !

Vendredi 26 juin / Pour avoir des places au concert de F.F.S. (Franz Ferdinand & Sparks) ce soir au Bataclan, j’ai dû payer le double du prix au marché noir, sur Viagogo le bien nommé. Au tarif normal, c’était complet au bout d’une heure. Alors quand je me suis réveillé, je ne vous raconte pas… Inutile aussi de présenter ici Sparks : si vous ne connaissez pas, vous n’avez rien à faire dans mes pages.

Dans une interview à Télérama (18/6/15), Ron Mael, l’auteur-compositeur gominé à lunettes et moustache, définit ainsi l’essence du duo : « Dès le début, le changement a toujours fait partie de notre style et de notre esprit. C’est ce que les gens aiment chez nous : qu’on les surprenne ! C’est quand on se répète qu’on déçoit. »

Chez eux le changement, c’est pas maintenant ; c’est tout le temps, et depuis qurante-cinq ans ! Régulièrement nos deux aliens font leur mue – jamais meilleurs que lorsqu’ils réapparaissent là où on les attend le moins. C’est ce qui se passe en accéléré depuis le début du xxie siècle : loin de se tarir, comme celles de leurs plus fameux collègues des 70’s, leur inspiration n’en finit plus de faire des étincelles[3. En anglais, « sparks ». En allemand, on s’en fout.].

Ils nous ont ainsi balancé tour à tour trois albums en forme de mini-opéras minimalistes et baroques, plus déroutants que du Vivaldi, moins chiants que du Phil Glass. Puis est venu un vrai opéra post-postmoderne, ou plus exactement rétro-futuriste, consacré à Ingmar Bergman. Les frangins l’ont monté à Los Angeles, et comptent bien en faire un film.

Entre-temps, ils ont multiplié les tournées dans toutes les positions : avec groupe, en duo, avec orchestre symphonique de 50 musiciens… Et voilà maintenant que nos sexagénaires californiens fous font équipe avec les dynamiques trentenaires écossais de Franz Ferdinand – que je qualifierais volontiers de « post-punk cool » si ça avait un sens.

2 + 4 : voilà nos 6 musiciens embarqués pour un album et une tournée communs, sous le nom de F.F.S. C’est un accord gagnant-gagnant. Après deux ou trois tubes planétaires il y a dix ans, l’étoile de Franz Ferdinand a quelque peu pâli. À titre d’exemple, mes enfants (17 et 14  ns) ne les connaissent déjà plus ! Pour le groupe, paradoxalement, la fusion avec Sparks est une perfusion de sang neuf.

Quant à Ron et Russel, c’est encore plus simple : avec le public de Franz Ferdinand (2 millions de fans sur Facebook, contre 30 000 pour eux), ils se font connaître d’une génération qui, au mieux, connaît un de leurs succès d’antan – et l’attribue à Queen.

Cela dit, dans ce mélange, « il y a de l’opportunisme, mais il n’y a pas que de l’opportunisme », comme dirait Lulu la Nantaise.

Les Écossais de chez Franz sont fans de Sparks depuis toujours, et l’idée d’une collaboration date d’il y a dix ans déjà. Comme l’observe d’ailleurs Alex Kapranos, leader du groupe, cette fusion transgénérationnelle n’a « pas d’équivalent dans l’histoire de la pop ».

Bien sûr, on pourra toujours chercher à nous contredire, Alex et moi – quitte à se replier finalement sur le duo Lady Gaga-Tony Bennett… Que faire contre la mauvaise foi ? « S’en foutre un peu », conseillait mon prof de philo. Essayez donc, ça marche !

Le concert, en revanche, ça se raconte pas[4. D’autant moins qu’en l’occurrence, celui du Bataclan est visible gratuitement sur arte.tv et YouTube.]. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il fut l’occasion de croiser Christophe Conte des Inrocks – auteur entre autres des regrettables « Billets durs » où il déboulonne chaque semaine, à l’aveuglette pourvu que ça pétille et que ça pète, une personnalité de droite ou débile, au choix – sans parler de l’intergroupe

J’ai donc pu le féliciter sincèrement pour son papier sur F.F.S. : « C’est la première fois que je suis d’accord avec toi ! » En fait, c’est même pas vrai : j’aime bien ce qu’il écrit sur la musique en général, et en particulier sur les Nits, un groupe hollandais méconnu dont il est fan comme moi. C’est la politique qui ne lui réussit pas, voilà tout. Ça arrive à des gens très bien.

 

« QU’EST-CE QUI M’A FOUTU DES CONNARDS PAREILS ? »

Lundi 29 juin / Charles Pasqua est mouru, et tout le monde sont unanimes ou presque à lui découvrir soudain les plus hautes vertus. Lui que la classe intello-politique détestait ou méprisait – avec en option la peur de ses légendaires et terrifiants « dossiers » –, voilà qu’on le couvre de fleurs en l’accablant d’éloges. « Mourez, nous ferons le reste ! »

Je l’entends d’ici rigoler à cette pagnolade, plongé dans son fauteuil, un whisky à la main et un cigare dans l’autre : « Qu’est-ce qui m’a foutu des connards pareils ? » Pasqua n’était dupe de rien ; il était même très lucide, sauf évidemment sur lui-même. Je gage donc que le spectacle de son embaumement virtuel l’aura plutôt réjoui.

Le président et le Premier ministre, la droite pour une fois unie (de Juppé à Philippot !) et même la gauche « responsable » font chœur pour rendre hommage au résistant, au patriote, au gaulliste, voire à l’homme d’État… On voit bien qu’il est mort ! Si ça se trouve, c’est même ça qui plaît.[/access]

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*Photo : Wikimedia Commons

Juillet-Aout 2015 #26

Article extrait du Magazine Causeur



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