Il y a plusieurs raisons de se réjouir de la réédition de Manina, la fille sans voiles.
La première, c’est d’offrir une occasion unique de redécouvrir Willy Rozier, cinéaste populaire bien trop méconnu et ignoré par à peu près tous les ouvrages spécialisés : Siclier ne le cite qu’une fois dans son histoire du cinéma français tandis que Tulard évoque un cinéaste d’origine belge alors que Rozier est né à Talence, en banlieue bordelaise!
Avant de devenir réalisateur, Willy Rozier fut un champion de natation qui représenta la France aux Jeux Olympiques puis il fit l’acteur, chez Robert Siodmak, notamment. Il passe derrière la caméra au début des années 30 et se fera le chantre d’un certain cinéma du samedi soir (Bouyxou parle d’un « pionnier de l’érotisme pré-benazerafien »). Il fait débuter la craquante Françoise Arnoul dans L’épave et on lui doit également la série des aventures de Callaghan. Il terminera sa carrière dans l’érotisme soft (Danny la ravageuse) et moins soft (Dora, la frénésie du plaisir). Et pour céder au plaisir de l’anecdote, signalons que Willy Rozier alla même, pour défendre l’honneur de son actrice Marie Déa, jusqu’à provoquer en duel le critique François Chalais qui l’avait malmenée dans un article !
Une des caractéristiques du cinéma de Rozier, et c’est la deuxième raison qui nous pousse à nous réjouir de la résurrection de ce film, fut de privilégier souvent les décors naturels. En 1949, il met au point l’Aquaflex, une caméra capable de faire des prises de vues sous-marines qu’il utilisera dans L’épave. Dans Manina, où le héros, Gérard, part à la recherche d’un trésor phénicien au large des côtes Corse, Rozier nous offre quelques séquences sous-marines assez belles. En supplément du film, on pourra d’ailleurs découvrir Vestiges sous-marins, intéressant documentaire de 1953 où Rozier nous invite à un tour de Corse qui passe également par quelques détours dans les fonds marins. Même si ses prises de vues en extérieur ont parfois des inconvénients (le vent qui souffle dans les micros et qui parasite la bande-son lors de certaines scènes), elles offrent aussi au film une certaine fraîcheur. La plage, le soleil, la mer, l’aventures : tous ces éléments donnent un sentiment de liberté vacancière assez agréable au spectateur.
Enfin, c’est bien évidemment la présence de la juvénile Brigitte Bardot qui fait tout le sel de ce film et qui justifie la redécouverte de Manina, la fille sans voiles. Si le titre est évocateur et peut faire rêver, il faut se souvenir que nous sommes en 1952 et que le cinéma reste toujours très prude. L’érotisme de Willy Rozier est donc toujours suggestif mais reste très chaste. Malgré ça, la sensualité de Bardot éclate à chaque plan. Le bikini qu’elle porte (presque) constamment n’est pas étranger à cette impression mais son charme ne se limite pas à ses formes parfaites. Même si elle joue parfois un peu faux, c’est ce naturel décomplexé qui enchante littéralement et que Vadim saura repérer quelques années plus tard lorsqu’il tournera Et Dieu créa la femme.
Après une première apparition aux côtés de Bourvil dans Le trou normand de Jean Boyer, Brigitte Bardot obtient ici son premier grand rôle et incarne la potentielle fiancée du jeune premier musculeux (Jean-François Calvé). Le canevas de cette bluette n’a rien d’exceptionnel mais il est assez amusant de voir comment Rozier se plaît à inventer une histoire de chasse au trésor évoquant la littérature populaire de la fin du 19ème siècle. Pour un spectateur d’aujourd’hui, les situations peuvent paraître antédiluviennes mais c’est aussi ce qui fait le charme du film dont certains dialogues sont assez croquignolets[1. « Et ton Gérard, il ne t’embête pas non plus ? – « Non, lui c’est pas le genre : il me donne des calottes », « -Et tu acceptes ça ? » « Oh mais dis, c’est pas toujours sur la figure », « Ah, voilà ! » ].
Mais qu’importe les maladresses et le côté un poil ringard du film : il y a le soleil, la mer, le bikini qui venait de naître et que des actrices comme Bardot étaient en train de populariser ainsi qu’un Howard Vernon assez savoureux en trafiquant de cigarettes un brin libidineux.
Du coup, cette bluette démodée dégage un charme non négligeable…
Manina, la fille sans voiles (1952) de Willy Rozier avec Brigitte Bardot, Jean-François Calvé, Howard Vernon. (Editions Bach Films)
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