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Interdiction des portables en classe: Jordan Bardella et Emmanuel Macron sur la même ligne

Mais les parents conservent une responsabilité majeure dans la fabrique du "crétin digital"


Interdiction des portables en classe: Jordan Bardella et Emmanuel Macron sur la même ligne
Jordan Bardella présente son programme en vue des élections législatives, Paris, 24 juin 2024 © Christophe Ena/AP/SIPA

Jordan Bardella comme Emmanuel Macron veulent interdire le portable à l’école. Estimant qu’on ne pouvait plus « minimiser leur impact » négatif sur les cerveaux, le président de Rassemblement national veut le bannir complètement dans les établissements « dont les lycées ».


Tout est politique, le portable aussi. En entendant le président de la République et Jordan Bardella défendre de concert cette mesure simple et de bon sens, beaucoup de gens ont pensé : c’est dingue que ce ne soit pas encore fait ! Sauf que c’est fait. C’était d’ailleurs à la une du Figaro, hier, avec un grand article de Caroline Beyer expliquant la laborieuse interdiction des smartphones dans les classes[1]. Une loi de 2018 interdit en effet « l’utilisation du téléphone portable et de tout terminal de communications électroniques » à l’école et au collège. Une autre loi de 2023 proscrit l’usage des réseaux sociaux avant 15 ans.

Une interdiction qu’on n’arrive déjà pas à faire respecter dans les prisons

Seulement, on dirait qu’il s’agit d’un « acquis social » caché, un droit sacré de l’enfant et de l’adolescent à aller en classe avec son smartphone de la maternelle à l’université. À la fac, le téléphone est ouvertement posé sur les tables. Quel prof oserait s’y opposer ? Au lycée, sans surprise, les tentatives d’interdiction se heurtent évidemment aux syndicats et fédérations de parents d’élèves. Pire : pendant des années, des élus ravis de la crèche numérique ont prétendu réduire la fracture scolaire en mettant des écrans partout. Ne citons pas de noms…

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Beaucoup de collèges renoncent à interdire, ceux qui récoltent les précieux appendices ont des difficultés de gestion (dépôt et restitution, casiers…). Le proviseur du lycée privé sous contrat Bossuet Notre-Dame (Paris 10e) raconte carrément que quand il en confisque un, il arrive parfois que les parents en donnent un autre à leur enfant. Et quand l’interdit existe, il y a malheureusement des trous dans la raquette: comme le dit un autre principal, si on n’y arrive pas en prison, alors au collège….

Mais pourquoi l’interdire ?

Etrange question. Auriez-vous sorti une BD ou votre Walkman en classe, ou commencé à parler avec votre copain à l’autre bout de la classe ? Non. Marcel Gauchet m’a confié récemment que tous les profs avec lesquels il échange lui racontent que quand ils font cours, la moitié de la classe n’est pas là.

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L’absorption par l’écran est bien plus nocive que toutes les sottises que nous pouvions inventer à notre époque en classe. Les études et la simple observation convergent. Chez les tout-petits, le portable à haute dose produit des dégâts cognitifs irréversibles ; il entrave la formation de l’imaginaire, et favorise la passivité. Dans toutes les classes d’âge, un accroissement massif des troubles de l’attention et des consultations afférentes est constaté. Et le problème n’est pas limité à l’école : une étude de 2023 révèle que 80% des 11-12 ans ont déjà un smartphone en France, et que 71% possèdent déjà un compte sur un réseau social. La responsabilité des parents est immense. Combien d’entre eux utilisent leur portable à table? Les vrais enfants privilégiés deviennent ceux à qui on interdit ou rationne les écrans.

L’addiction de masse au portable est un poison anthropologique qui concerne toutes les sociétés humaines. Le portable n’est pas un objet mais un prolongement identitaire, l’apanage de l’individu-roi. Il promet à chacun son propre monde. Et contribue ainsi à l’effacement du monde commun.

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Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio


[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/pause-numerique-casiers-la-laborieuse-interdiction-du-portable-a-l-ecole-20240623




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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