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Bardella/Hayer: qui a remporté le débat?

Jordan Bardella et Valérie Hayer, les favoris des européennes, débattaient enfin ensemble hier soir à la télévision


Bardella/Hayer: qui a remporté le débat?
Jordan Bardella et Valérie Hayer, BFMTV, 2 mar 2024. Capture d'écran.

Si les grosses ficelles politiciennes et les éléments de langage agressifs de la candidate Renaissance Valérie Hayer étaient bien trop visibles au début du débat de BFMTV, hier soir, elle a ensuite marqué quelques points face à un Jordan Bardella jusqu’alors présenté comme le « candidat de l’esquive »1 de cette campagne électorale.


Il faut le reconnaitre, certains débats ont tout du pensum et quand on est journaliste politique, on se demande parfois comment font les citoyens ordinaires pour tenir aussi longtemps devant leur écran, alors qu’ils n’y sont pas obligés. Je dois le reconnaitre, j’ai trouvé la première heure de cette rencontre opposant les deux « favoris » de l’élection européenne à mourir d’ennui. Valérie Hayer n’a rien d’une politique et elle s’avère incapable de donner un quelconque sens à son action. Pourtant, tout le monde reconnait que la candidate Renaissance a été présente au parlement européen et s’y est investie au cours de son mandat. Mais de cela les Français se moquent ! Ils ont compris que le vrai pouvoir était entre les mains de la Commission et n’accordent que peu de crédit au parlement. Les élections européennes sont donc devenues une façon de dire son fait au pouvoir en l’absence de rendez-vous électoraux majeurs. Et ce débat ne risquait pas de changer la donne. Si Jordan Bardella, bien plus à l’aise que Valérie Hayer, déroulait bien ses thèmes et gérait de façon professionnelle la situation face à une candidate au début peu consistante, le moins que l’on puisse dire est qu’il ne forçait pas non plus son talent.

Des enjeux différents

Il faut dire que les enjeux n’étaient pas les mêmes pour les deux protagonistes.

Jordan Bardella. DR.

L’une devait exister et sortir de l’indifférence ou du profond ennui qu’elle inspire. Il est impératif pour elle de garder sa place de seconde et de ne pas se faire doubler sur sa gauche par Raphaël Glucksmann. Elle n’avait donc rien à perdre à la confrontation. Partant de très bas en termes de notoriété, simplement résister au rouleau compresseur Jordan Bardella serait déjà vu comme positif. Elle avait donc tout à gagner si elle parvenait à exister ne serait-ce qu’un peu.

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Lui ne devait pas freiner une bonne dynamique qui, à un peu plus d’un mois de l’échéance électorale, peut difficilement être inversée sauf accident industriel lourd. Il devait gérer à la fois la normalisation, afin de rendre le procès en extrême-droite instruit par ses adversaires inaudible, faire profil bas, et garder son calme pour rester concentré sur les enjeux intéressant vraiment les Français.

Un début difficile pour Valérie Hayer

Le début du débat a été catastrophique pour Valérie Hayer. Elle n’est pas faite pour ça et correspond à tout ce que les Français n’aiment guère : trop techno, maladroitement agressive, sans pertinence, peu concrète. L’épisode où l’animateur Benjamin Duhamel demande à l’un et à l’autre d’évoquer les qualités et défauts de leur adversaire est particulièrement symptomatique : Valérie Hayer sombre dans l’attaque personnelle, alors que l’on ne sent pas chez elle une agressivité naturelle. De ce fait la séquence apparait surjouée, mal maitrisée, inutilement brutale et fait cadeau à Jordan Bardella – plus posé et objectif – d’une forme de retenue et d’élégance… Cette erreur de positionnement donne l’impression d’une candidate macroniste factice, la façade Potemkine d’un pouvoir en place aux abois. Une impression que la candidate Renaissance donnera à plusieurs reprises au début du débat. Elle cherche alors ses mots, fuit le regard de son adversaire et ne parait ni vraiment être là, ni habiter sa parole. Pire même : si les deux candidats manient évidemment des éléments de langage préparés, ceux de Valérie Hayer sont déballés à la hâte et sans finesse. Ainsi dans cette première partie du débat, elle va tenter la victimisation en mode : « Cela vous dérange tant que cela de laisser parler une femme ? » Et va le faire à plusieurs reprises. Sauf que cela ne passe pas, sent la grosse ficelle, et que l’échec de la manœuvre sera complet lorsqu’elle va à son tour couper le discours de Jordan Bardella et que celui-ci va lui demander si c’est par sexisme aussi qu’elle lui refuse la parole !

Changeant de stratégie, après avoir échoué à présenter Jordan Bardella en macho viriliste patriarcal, Mme Hayer tente à nouveau de réactiver la diabolisation de l’adversaire en élargissant le procès au RN et à son fondateur, Jean-Marie Le Pen. « Neuf minutes de débat et vous appelez déjà Jean-Marie Le Pen au secours ? » lui lancera alors, goguenard, Jordan Bardella. Au vu de l’ennui intense de la soirée, tout le monde est allé vérifier : cela faisait en réalité plus de 20 minutes que les deux candidats échangeaient. Autres tentatives de déstabilisation, ressortir des phrases prononcées par Marine Le Pen il y a 10 ans, ou répéter en boucle « je ne suis pas candidate au poste de Premier ministre ou de président de la République ». Tout cela tombe à plat, tant l’utilisation de ces arguments arrive souvent mal-à-propos et cache mal les faiblesses oratoires de la candidate.

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Valérie Hayer va faire dans cette première partie du débat un autre cadeau énorme à Jordan Bardella, en faisant du lien qu’il fait entre immigration et délinquance l’occasion d’une énième leçon de morale et d’un procès en essentialisation. Hélas, les chiffres que brandit alors le président de RN sont implacables et l’accusation de cliver le pays fait « pschitt » quand celui-ci lui demande si elle croit vraiment que c’est le RN qui est responsable de l’ensauvagement et de la montée de la violence en France.

Un Jordan Bardella qui ne force pas son talent

Pendant ce temps, Jordan Bardella prend garde à ne pas paraitre agressif et déroule avec efficacité ses thèmes : énergie, immigration, sécurité, en veillant toujours à parler par-dessus l’épaule de la candidate, s’adressant aux Français quand son adversaire, elle, se laisse aveugler par le duel et se focalise sur lui. Mais, cette faiblesse de Valérie Hayer va finir par lui servir. Et elle commence tellement mal son débat que les progrès qu’elle réalise ensuite deviennent notables. Le seul fait de tenir bon devient une preuve de résistance et une forme de courage, et puis, dans la deuxième partie du débat, la tête de liste de Renaissance va enfin se montrer un peu plus incisive et pertinente. Elle réussit notamment une séquence intéressante en confrontant Jordan Bardella à ses soutiens européens et en citant les déclarations de ces alliés. Lesquelles ne sont pas à piquer des hannetons. Là, on sent Jordan Bardella touché. Certes il se défend efficacement et marque des points en faisant remarquer à Valérie Hayer qu’elle-même, dans le cadre d’accords politiques, a soutenu la candidature à un poste européen d’une femme ouvertement anti-avortement – il en profite au passage pour déclarer qu’il est pour l’IVG. Il n’en reste pas moins que Jordan Bardella ne prend pas si clairement ses distances avec des déclarations bien gênantes sur d’autres points (sexisme, homophobie…) de ses amis. Dans cette séquence, Valérie Hayer est pertinente car elle croit profondément à ce qu’elle dit, mais surtout parce qu’elle fait là de la morale et pas de la politique. Elle est donc en phase avec elle-même et sa parole porte.

Une autre séquence l’avait l’illustré un peu avant, concernant la guerre en Ukraine. Valérie Hayer apparait très à l’aise aussi, tant que l’on reste dans le registre théorique, celui de la morale, quand on ne se réfère qu’au monde tel qu’il devrait être. Mais tout cela vole en éclats quand le politique revient. Elle offre alors une bonne séquence de positionnement régalien à Jordan Bardella qui la reprend à la volée : « La guerre c’est sérieux, Madame », et l’on n’est pas forcément utile « en allant se faire prendre en photos en Ukraine »… Là il se passe quelque chose d’intéressant entre les deux protagonistes qui illustre peut-être toute la faiblesse de nos démocraties : puisque l’Ukraine ne doit pas tomber, faisons comme si cela dépendait uniquement de notre volonté et pas de l’état de notre défense, de nos capacités de production militaire. C’est l’incapacité à parler de la vérité de la situation quand la réalité nous déplait qui saute alors aux yeux.

Une carte blanche à l’avantage de Jordan Bardella

Le débat termine inévitablement sur une « carte blanche » laissée aux candidats. Alors que la candidate Renaissance sort d’une bonne séquence, elle termine mal, retombant dans l’ornière techno et agressive. Dommage, c’était pourtant le moment pour elle de s’adresser aux Français. D’ailleurs elle retrouve ses hésitations verbales et une forme d’absence que l’on pouvait déjà remarquer au commencement du débat. Reste qu’elle a résisté, ne s’est pas effondrée et dans le fond a réussi son pari : elle existe un peu plus aux yeux des Français au sortir de cette importante émission.

De son côté, en redoutable animal politique, Jordan Bardella termine mieux qu’elle mais il n’a pas renversé la table alors qu’en face de lui le répondant était pourtant faible. Certes, il a été sans conteste le meilleur, mais sur ce point être dans l’opposition est toujours plus favorable, alors que Valérie Hayer doit gérer l’ombre portée d’Emmanuel Macron. Au vu du rejet que ce dernier suscite chez nombre de Français, cela ne lui facilite pas la tâche. Et d’ailleurs, alors que Valérie Hayer est déjà à la peine dans les sondages, l’ARCOM vient de décompter l’intégralité du discours prononcé par Emmanuel Macron à la Sorbonne pour l’Europe de son temps de parole2 ! Pourtant ce discours n’aura bougé aucune ligne et servi à rien. Sitôt prononcé, sitôt oublié.

Il en sera probablement de même de ce débat.

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  1. La campagne d’évitement de Bardella, Françoise Fressoz dans Le Monde, 2 mai ↩︎
  2. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/02/elections-europeennes-le-discours-d-emmanuel-macron-a-la-sorbonne-decompte-comme-du-temps-de-parole-de-son-camp_6231218_823448.html ↩︎



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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