Le gouvernement israélien a invité le président du Rassemblement national à une conférence donnée sur l’antisémitisme à la fin du mois en Israël. Bien qu’elle symbolise le changement du parti, cette visite ne doit pas se transformer en justificatif.
Depuis quelques années, l’image du Rassemblement national a changé en Israël. Un temps tenu en horreur par l’État hébreu lorsque dirigé par Jean-Marie Le Pen, les gouvernements israéliens successifs ont progressivement accepté d’envisager des relations avec le RN. En 2006, il était prévu que Marine Le Pen soit membre d’une délégation de députés européens en visite dans le pays. Mais à l’époque, elle avait subi le même sort que Rima Hassan il y a un mois : le gouvernement israélien avait signifié au Parlement européen qu’il refuserait à ses frontières une députée dont le parti est « raciste et négationniste », rappelant en outre les moult propos antisémites du fondateur du FN.
Stratégies politiques
Moins de vingt ans plus tard, pourtant, le ministre israélien de la Diaspora a choisi de convier non seulement la direction de l’ex-Front national, mais également la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal. Il est indéniable que cette décision témoigne de l’aggiornamento idéologique opéré par le parti depuis sa reprise par Marine Le Pen. Le discours a été vidé de sa substance antisémite et l’essentiel des figures extrémistes a été remercié. Les accusations en électoralisme, visant à faire de cette « dédiabolisation » une simple stratégie dépourvue de sincérité, sont en outre sérieusement affaiblies par le renouvellement des effectifs du RN. Les membres du bureau national du parti, par exemple, ainsi que l’essentiel de ses élus, n’appartenaient pas au FN lorsque sa ligne rappelait l’extrême droite au sens traditionnel.
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En outre, depuis le 7-Octobre, le soutien de Marine Le Pen à Israël s’est fait plutôt vocal, quitte à nuancer la position historique du parti réclamant corps et âme une solution à deux États. Cette invitation à une conférence sur l’antisémitisme à Jérusalem représente néanmoins un problème stratégique pour le parti : peut-elle devenir en tant que telle un argument vérifiant la dédiabolisation du parti ? Israël fait preuve d’une vigilance évidente dans sa relation avec les grands partis de ses alliés diplomatiques ; y être convié à un événement politique constitue un signal qu’il serait ridicule d’ignorer.
Le parti se présente comme un rempart
Pour autant, cette décision ne saurait représenter notre seul phare moral. Surtout, le RN ne doit pas la déployer à ce titre d’un point de vue rhétorique. Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche mi-mars, le président du parti estimait que l’envoi de l’invitation au RN signait la place qu’il avait prise à l’échelle internationale. Un élément de langage allant en ce sens a d’ailleurs été déployé par le mouvement, nombre de ses élus ayant publié sur X un message évoquant une « reconnaissance diplomatique ». Mais certains sont allés plus loin, à l’image du député du Pas-de-Calais, Bruno Bilde, qui a vu en cette visite la confirmation que le Rassemblement national constituait « le seul rempart contre l’antisémitisme ».
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On ne peut que comprendre la tentation d’y repérer un adoubement. Or cette position est insatisfaisante. Si le RN souhaite éradiquer tout soupçon d’antisémitisme, il lui faut continuer à suivre une ligne claire sur le sujet et à se distancer des formations politiques sur lesquelles planent toujours un légitime doute dans le monde. Se servir d’une visite éclair dans un État juif pour témoigner de sa bonne entente avec les Juifs, en revanche, ne saurait composer une réponse convenable. Le contraste avec les relations entretenues entre LFI et les Français de confession juive vient intuitivement, mais arguer de ses interactions avec Israël ou de ses désaccords avec des élus antisémites ne constitue pas en soi un programme.
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