Dans ce bac de Gibert-Montpellier, la couverture de l’édition Garnier-Flammarion des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly était très seventies, oscillant entre le psychédélisme et le surréalisme magritien avec des yeux et des bouches flottant en apesanteur sur un ciel mauve. Alors qu’il s’agit là d’un de nos textes de chevet- nous en avons au moins trois éditions dont la Pléiade-, nous avons l’avons donc acheté de nouveau pour…50 centimes d’euros. Avec peut-être l’idée de l’offrir à un moins de vingt ans. Etant donné le puritanisme qui règne dans tous les camps de la guerre des sexes, les clivages irréductibles entre les revendications communautaristes LGBT et les néo-chaisières du sexuellement correct d’un monde d’avant mythifié avec papa, maman, la bonne et moi, il est certain que lire Les Diaboliques va énerver tout le monde. Barbey ne croit qu’à la force brute du désir, il ne le juge pas. Ce catholique est trop intelligent pour ne pas savoir, comme Saint Paul, que là où le péché abonde, la Grâce surabonde. On jouit dans le meurtre, on fait l’amour au-dessus des mourants, on se prostitue pour se venger, on profane, on infanticide : les femmes mènent le bal, et l’ambiguité sexuelle, l’inversion des rôles est présente de manière tantôt diffuse, tantôt explicite.
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Bref, Barbey est incontrôlable : il va déplaire souverainement aux partisans d’une coïncidence exacte entre sexe et genre mais il sera traité de réac à cause de la préface où il prétend vouloir édifier son lecteur par une pédagogie de l’horreur afin de le ramener dans le giron des valeurs chrétiennes. Evidemment, le problème est que les nouvelles constituant Les Diaboliques ruissellent de sensualité, de parfums lascifs, de bonheur à peindre des corps tordus dans la plaisir: tout le contraire, à vrai dire, de la froide mécanique sadienne.
On sait que Barbey d’Aurevilly n’aura jamais plus de cinq mille lecteurs quand bien même il semblerait que sa fortune universitaire le place désormais, et ce n’est pas trop tôt, à la hauteur de Balzac, de Flaubert ou de Stendhal. Il aimait passionnément Dieu, l’élégance et l’amour fou. Il semblerait que les trois aient disparu corps et bien dans les eaux de plus en plus glacées du calcul égoïste comme aurait dit son presque exact contemporain, un certain Karl Marx, né dix ans plus tard que Barbey, en 1818.
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Privilège des écrivains au sang riche, Barbey a plusieurs masques. Il y a l’historiographe du dandysme avec Brummel, le diariste électrique des Memoranda, ce journal intime monomaniaque dans lequel est écrit en phrases sèches le moindre petit fait de la journée, de la visite d’une maîtresse au choix d’un gilet. On sait que Barbey les aimait rouges, comme la colère qui soulève son œuvre.
Le Barbey d’Aurevilly romancier reste néanmoins le plus grand. A l’époque où Paul Bourget et Pierre Loti planaient au firmament des lettres françaises avec de pâles histoires de grisettes, des angoisses bourgeoises ou des bluettes exotiques avec touche-pipi dans les hammam, Barbey sait raconter des tragédies d’un autre temps et réussir le premier à mêler la poésie et l’histoire en faisant du temps qui passe le carburant des nostalgies amoureuses ou politiques, ce qui revient souvent au même. Il ressuscite une chouannerie mythique dans Le Chevalier des Touches, roman du travestissement où un chef royaliste très queer se comporte en héros. Et dans L’Ensorcelée, soixante ans avant les Surréalistes, il se fait le chantre horrifié de l’amour fou quand il montre un prêtre défiguré par un suicide raté provoquer la passion suicidaire d’une femme mal aimée qui gardera tout le roman un rougissement du visage, comme un aveu scandaleux d’un orgasme permanent et incontrôlable, le même, précisément, que celui des Diaboliques
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Les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly (GF, 1973), 50 centimes, Gibert-Montpellier.
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