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Retour à Athènes

S'inspirer des Athéniens pour lutter contre nos "barbares"


Retour à Athènes
Jean-Michel Delacomptée. Photographe: Hannah Assouline

 

On s’est souvent gaussé du discours de Jules Ferry à l’Assemblée, le 28 juillet 1885. Affirmer « Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… » sonne mal à nos oreilles de droits-de-l’hommistes persuadés qu’il y a une dignité égale de toutes les races et de toutes les civilisations.

Si sur le premier point cela va de soi — il n’y a pas de race inférieure, quoi que vous mettiez sous le mot « race » —, il n’en est pas de même en ce qui concerne le second. La formule de Samuel Huntington, le « choc des civilisations », remonte à 1996. Elle a été maintes fois critiquée par les belles âmes, sauf qu’elle s’est révélée, au fil des guerres effectives et des attentats, d’une redoutable clairvoyance. La mondialisation amène en contact immédiat des régimes, des civilisations et des croyances qui se sont ignorées pendant des siècles, parce que l’éloignement géographique interdisait de fait le contact. Mais voilà, deux clics d’ordinateur mettent aujourd’hui le Pakistanais le plus rétrograde à portée de kalachnikov de n’importe quel caricaturiste français, qu’il vilipende instantanément et brûlerait volontiers dans un grand pogrom de ses œuvres.

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D’aucuns nous préviennent alors qu’il faut ménager les susceptibilités de ces gens-là, faire preuve de tact, ne pas offenser leurs superstitions, etc.

Jean-Michel Delacomptée, écrivain très estimable (Notre langue française — 2018 — est un bon livre, même si son auteur, soucieux de plaire aux Académiciens qui l’ont couronné, ne rentre guère dans le détail de cette langue en lambeaux enseignée dans nos écoles, grâce à une habile politique pédagogique) vient de se fendre sur le sujet d’un article intéressant dans le Figaro du 14 novembre.

Soucieux de défendre la chèvre et le chou, le couscous et le cassoulet, il évoque l’ombre de Jules Ferry pour relativiser notre belle ambition d’universaliser les valeurs sur lesquelles s’est fondée notre République : « Défendre la liberté de conscience dans les pays de confession musulmane représente une tâche d’une extraordinaire difficulté. Blasphème, apostasie, contestation de la parole coranique y suscitent opprobre, procès, prison, crimes de sang. Penser que l’on peut, en republiant les caricatures dans le cadre du procès des attentats de janvier 2015, opposer la grandeur de la liberté de conscience à l’obscurantisme qui ronge ces pays relève de la même illusion que celle qui conduisit les Etats-Unis à tenter d’imposer par la force la démocratie en Irak. Vient aussi à l’esprit l’exemple de la IIIe République qui, alléguant un souci d’authentique humanisme, prétendit apporter aux peuples « moins avancés » les lumières de la civilisation. »

Et de résumer : « L’universalisme de nos valeurs fait à juste titre notre fierté, mais il nous leurre. »

De là à conclure que nous devrions ménager les susceptibilités de gens qui nous achètent des Vache-qui-rit et des Mirages, il n’y a qu’un pas. Sauf que de la précaution à la soumission, il n’y a aussi qu’un pas.

Les Athéniens du Ve siècle ne prétendirent jamais imposer leur mode de vie aux Perses — il faudra attendre l’ambition d’Alexandre pour en arriver là, et surtout le délitement de l’empire du Grand Roi. Ils appelaient « barbares » ceux qui ne partageaient ni leur langue, ni leurs coutumes. Le mot n’avait rien de péjoratif en soi, c’était une distinction géographico-linguistique, à une époque où Ninive ou Babylone étaient juste de beaux noms vagues, à des distances prodigieuses — pas des réalités déboulant sur l’écran de l’ordinateur ou sous le couteau des assassins. De même, ils avaient baptisés « métèques » les citoyens qui n’étaient pas d’extraction athénienne, et auxquels ils refusaient les droits des citoyens.

Peut-être faut-il en revenir à Athènes. Comprendre que les pays qui nous abreuvent d’injures sont juste des barbares. Que ceux qui chez nous les imitent, et que nous avons importés en grand nombre, le sont aussi. Qu’il faut un bon bout de temps pour qu’un barbare d’importation devienne citoyen français de plein droit — et nous devrions peut-être réintroduire des distinctions entre habitants de l’Hexagone, selon l’acquisition des Lumières sur lesquelles est fondée notre civilisation : j’avais tenté d’expliquer cela en écrivant Voltaire ou le jihad. Lis l’Encyclopédie, récite le Dictionnaire philosophique, adhère au discours des Lumières, ou résous-toi à n’avoir qu’un statut de métèque athénien – littéralement, « celui qui a changé de résidence ». Tant que tu n’épouses pas les valeurs de notre civilisation, ne t’étonne pas que nous rejetions la greffe.

Les Allemands n’ont pas de ces pudeurs de vierges. Leurs Turcs d’importation restent des Turcs longtemps. Ça ne les empêche pas d’œuvrer à la grandeur de l’Allemagne.

Respecter les croyances, en ces temps d’exacerbation des passions, revient très vite à respecter des fanatismes — et aucun fanatisme ne peut être accepté dans une France des Lumières. C’était le sens de l’intervention célèbre du comte de Clermont-Tonnerre en décembre 1789, à propos des Juifs : « « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ». La création par Napoléon du Consistoire en 1808, qui permit l’intégration pacifique de tant d’Israélites qui étaient persécutés en raison de leur religion, s’inscrit dans cette optique.

Il est inconcevable que nous acceptions — et il n’est pas trop tard, tant que la démographie ne crée pas une situation irréversible qui nous ferait basculer dans la tyrannie des barbares — la constitution de « communautés » faisant pratiquement nation dans certaines périphéries urbaines. Inconcevable que l’École, qui devrait être le berceau commun d’où émergent tous les citoyens français, se soit résignée à tolérer des discours séparatistes, voire criminels. Si nous n’avions pas laissé des pédagogues en mal de démagogie instaurer, depuis la loi Jospin (1989), le droit des élèves à proférer des insanités, nous ne verrions pas des gosses de 15 ans vendre leur prof d’Histoire à un assassin pour une poignée de cacahouètes.

Oui, il y a des barbares dans nombre de pays. S’ils ont envie de se soûler de sables et de corans, à leur guise. L’époque où nous avions l’illusion de pouvoir les éduquer aux Lumières est bien passée, et le colonialisme n’a jamais apporté que des rancœurs mal digérées : pensez, nous les avons guéris de la fièvre jaune, de la malaria, de l’esclavage, du tribalisme, et autres joyeusetés qui constituent le fond de leur civilisation — aussi respectables, à distance, que celle des Perses pour les Athéniens.

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Quant à ceux qui sont aujourd’hui présents sur le sol français, il faut les intégrer. Cesser de prétendre que la démocratie nous impose de respecter leurs superstitions. Justement, comme je l’expliquais il y a peu, la démocratie n’est pas la république. Alors, « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » — et cessez de plaindre ou même de « comprendre » ceux qui encensent les égorgeurs. Éduquons-les, ou rejetons-les.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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