« S’il n’y avait qu’un dollar à prêter et si quelqu’un désespérait de l’avoir, le taux d’intérêt serait usuraire. S’il y avait des trillions de dollars de crédit disponible mais si personne, pour une raison ou une autre, ne souhaitait les emprunter, alors les taux seraient à 0,01% comme ils le sont aujourd’hui et l’ont été ces cinq dernières années. » Cette analyse, qui date déjà de quelques mois, est de Bill Gross et je n’en ai pas lu de meilleure. Tout est là : le système bancaire est gorgé de liquidités et bénéficie de conditions de refinancement historiquement attractives mais, de toute évidence, les emprunteurs potentiels — et en particulier les entreprises — ne semblent absolument pas décidés à donner suite aux injonctions de nos banquiers centraux. Non, ils ne veulent pas s’endetter. Non, ils ne veulent pas investir. Non, les dirigeants d’entreprises ne sont pas des organismes monocellulaires qui réagissent mécaniquement aux stimuli du planificateur monétaire.
À titre personnel comme à titre professionnel, ni vous ni moi ne souhaitons accroître notre endettement et il est même fort probable que la plupart d’entre nous soient dans la démarche exactement inverse. Investir, c’est avant tout un acte de confiance en l’avenir et le moins que l’on puisse dire c’est que l’avalanche fiscale et réglementaire des dernières années n’incite pas véritablement à l’optimisme. M. Draghi pourra baisser le taux directeur de la BCE à 0,01% et laisser libre cours à son imagination en matière de rachat d’actifs, il n’obtiendra pas plus de résultats que ses homologues de la FED : ce n’est pas en versant plus d’eau dans son abreuvoir qu’on fera boire un cheval qui n’a pas soif.
Et ce, d’autant plus lorsque les réglementations prudentielles édictées par ces mêmes banques centrales incitent les banques à délaisser entreprises et particuliers pour favoriser les emprunts d’État. C’était déjà le cas avec Bâle I et II ; avec Bâle III c’est pire encore. Si la régulation et la réglementation n’ont manifestement pas permis d’éviter une crise bancaire, il est en revanche tout à fait clair qu’elles sont en train de faire disparaître purement et simplement le métier de banquier. On rappellera ici que si le shadow banking existe et se développe, c’est précisément parce que le législateur empêche les banques de faire leur métier.
Que penser, dès lors, des dernières annonces de nos banquiers centraux ? Eh bien, à la valeur de nos monnaies près, pas grand-chose et sans doute même rien. Ça ne fonctionnera pas et le seul effet concret dont ceux qui défendent encore ce type de politiques peuvent s’enorgueillir, c’est la création de la plus gigantesque bulle obligataire jamais observée. Un jour où l’autre, il faudra bien qu’elle éclate ; ce sera, n’en doutons pas, pour nos apprentis sorciers l’occasion de dénoncer les méfaits de la finance dérégulée, le mythe de la main invisible, les ravages de l’ultralibéralisme — que sais-je encore ? — et de réclamer qu’on remette un nouveau jeton dans le manège.
*Photo : Willi Heidelbach.
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