Loin des tours, des cités, des communautarismes enchevêtrés, du dessein morose d’une Ile-de-France à feu et à sang, Bott repeint la banlieue couleur espoir. Un espoir mesuré, étriqué parfois, à la limite du rance, mais toujours salvateur. Il y a dans ses nouvelles, un minuscule rai de bonheur qui vient éclairer les existences les plus sombres au moment où ses personnages ne s‘attendent plus à rien. Où le destin les a définitivement déclassés, lâchés, relégués dans l’antichambre de l’échec. Bott les saisit juste avant la chute, avant le plongeon final, leur redonne le goût de continuer au creux de la morte saison. Bott n’est pas un optimisme béat, l’un de ces coachs sous amphétamines qui prolifèrent dans l’édition, il sait la vacuité des choses, le dérisoire des situations et la fragilité des âmes.
Une plume suave et sensible
Ce moraliste au style délicat, à la longue carrière (il a dirigé les pages littéraires de L’Express, puis Le Monde des livres après avoir fondé Le Magazine Littéraire) n’écrit pas au forceps et au burin. La suavité de sa plume, quelque chose de rond et pourtant amer, enchante ses fidèles lecteurs. On achète le dernier Bott car on y retrouve les ingrédients essentiels du plaisir : une belle écriture, une distance sans tomber dans la pâle ironie et un quotidien d’une banalité réconfortante. Sans oublier un art du portrait, des femmes surtout d’un certain âge, d’une très grande sensibilité. Pas un mot de trop, ni une once de jugement. Bott est l’un des rares romanciers français à aimer ses personnages, il ne se moque ou ne se venge jamais d’eux. Les écrivains qui ont des comptes à régler avec leurs héros, les ratent forcément. Après la vague de froid, les crues et les grippes tenaces, Un hiver au Vésinet qui paraît à la Table Ronde vous servira de baromètre des amours avant le printemps tant attendu. La première nouvelle qui donne à l’ouvrage son titre, nous met en présence d’Hélène, bibliothécaire municipale au Vésinet, célibataire des années 1950 en phase de fossilisation affective. Dans un jardin, une rencontre avec un vieux professeur de philosophie va lui permettre de lever le voile sur sa mélancolie et d’entrevoir un autre avenir. « Deux complices, deux amoureux, distraits et rêveurs, qui discutaient des choses de la vie, sans s’apercevoir de leur différence d’âge, ni des intempéries. Les fiancés du Vésinet » écrit sobrement Bott.
Le guide des êtres égarés
Il n’est pas l’artificier des effusions, des déclarations péremptoires, il demeure le guide sous-terrain des êtres égarés et des malchanceux. Souvent la littérature se révèle une béquille psychologique pour ses personnages qui préfèrent le confort cotonneux des bibliothèques à la vraie vie. Comme René Duval, professeur remplaçant qui doit concilier la poésie de Rimbaud et la pratique du poker dans un collège technique d’Argenteuil. Avec Bott, les demoiselles de Bois-Colombes sont aussi attrayantes que les sylphides de Portofino. Les flamboyants manquent d’épaisseur. Les anonymes ont bien plus d’aspérités. Quand vous ferez la connaissance d’Alexandre Murat, cet homme effacé, ce gris fonctionnaire du Palais-Royal, il piquera à jamais votre curiosité. « Je le soupçonnais d’écrire comme on rédige un testament » dit de lui, son collègue de bureau.
D’abord son étrange passion pour les monstres dans la littérature le classe parmi les doux dingues, et puis surtout parce qu’« il s’était retiré non pas dans un monastère, mais à Reims, sous-préfecture de la Marne ». Bott fait défiler des individus sans prestige et non pas sans relief dans de courts textes : l’oncle Alfred, le mort dans le taxi, Julie D, Marguerite ou le sourire de Leila. A chaque fois, on oscille entre Cioran et Sempé, entre les meurtrissures et les élans. Au cœur de l’hiver, ce livre tient chaud, sans étouffer.
Un hiver au Vésinet, nouvelles de François Bott, La Table Ronde, 2018.
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