C’est avec les vieux héros qu’on fait les meilleures bandes dessinées. Comme si la ligne claire était un horizon indépassable. Les anciens ont définitivement gagné la partie. La nostalgie, cette maladie du siècle naissant, a pris en otage le 9ème art pour notre plus grand plaisir. Notre portefeuille n’étant plus en mesure de suivre l’inflammation financière des dernières ventes aux enchères, on se contentera de relire nos vieux albums usés jusqu’à la corde. La frénésie spéculative a mis un frein définitif à notre envie secrète de posséder des originaux. En avril dernier, le filloniste repenti Renaud a troqué son perfecto à clous pour un pull-over sur les épaules. Les « Mistral gagnant » valent désormais de l’or en barre. Il s’est séparé de sa double planche du Sceptre d’Ottokar, une encre de Chine sur papier datant de 1939, pour un peu plus d’un million d’euros. Laisse bêton ! La BD n’est plus une affaire de gamins attardés mais un marché aussi structuré que l’automobile de collection, la photographie ou le « street art ». Dans les ports francs, Hergé est désormais plus recherché que Picasso ou Bugatti. Entre milliardaires, on s’échange du Tintin à l’abri des palaces comme, autrefois, on bataillait pour des vignettes Panini sous des préaux chauffés à blanc. Les Dupont/Dupond en perdent leur chapeau melon.
Le mois de septembre s’annonce tintinesque, je dirais même plus : la tintinophilie se propagera dans toutes les couches de la société. Aucun vaccin n’a réussi, à ce jour, à endiguer ce virus belge. Le Grand Palais accueillera une exposition Hergé du 28 septembre au 15 janvier 2017. Préparez-vous à faire la queue ! Depuis la fin de l’été, le reporter à la houppette et son fox blanc affolent les éditeurs et rendent fous de jalousie les romanciers de l’automne. Car, avouons-le, peu de fictions de la rentrée arrivent à la cheville d’un Tintin qui n’a besoin que de 46 pages pour nous faire décoller. Certains pavés devraient s’en inspirer. On frise le génie, l’œuvre totale avec bulles et vignettes, fluidité et action, style et imagination. Parmi tous ces livres à la gloire de Moulinsart, « La grande aventure du Journal Tintin 1946-1988 » vous permettra de passer l’hiver, surtout les douloureuses Primaires du Centre et de la Droite, sans abuser d’anxiolytiques ou de vin chaud.
Toute l’histoire de l’hebdomadaire des jeunes de 7 à 77 ans racontée et réunie dans un volume aussi lourd que les bijoux de la Castafiore. Un travail monumental qui démontre comment un journal est devenu le porte-étendard d’au moins trois générations. Le 26 septembre 1946, un jeudi évidemment, paraissait le premier numéro au prix de 3,50 francs. 12 pages dont 4 en couleurs et un tirage de 60 000 exemplaires (140 000 en français et 20 000 en flamand) écoulé en seulement trois jours. La réalisation avait été confiée à l’imprimeur bruxellois Van Cortenbergh, une fabrication en héliogravure, gage de qualité et de confort de lecture. Les Editions du Lombard ont misé gros sur ce numéro 1 qui dévoile en prépublication « Le Temple du Soleil ». Sur la couverture, de dos, Milou, Tintin et le Capitaine Haddock sont pris d’effroi devant une statue inca. En matière de teasers, les studios d’Hollywood peuvent remballer leur quincaille.
Dans cette épaisse bible, vous pourrez retrouver la seule histoire courte créée par Edgar P. Jacobs et puis tous les héros éternels de la revue : Clifton, Alix, Guy Lefranc, Chlorophylle, Ric Hochet, Dan Cooper, Michel Vaillant, Zig et Puce ou encore Prudence Petitpas. Tous nos compagnons d’insomnie sont là ! Les classiques n’ont pas fini de faire de l’ombre aux jeunots d’un secteur pourtant en pleine expansion. Le 25 novembre prochain, sortira Le Testament de William S., un nouveau Blake et Mortimer, exécuté royalement par Yves Sente et André Julliard. Le professeur rouquin et le capitaine gominé traquent le fantôme de Shakespeare. Et si ce week-end, l’idée vous vient de traverser les Alpes, rendez-vous à BDFIL, le Festival de Bande-Dessinée de Lausanne (du 15 au 19 septembre) reçoit comme invité d’honneur Derib. Un ami de la famille Tintin. Le créateur de Yakari et de Buddy Longway a fait les heures de gloire du magazine. Décidément, la Suisse est l’autre grand pays de la BD. A commander et à lire absolument, l’excellent numéro 2 de Bédéphile, la revue annuelle de bande dessinée publiée par Les Editions Noir sur Blanc. On y parle d’Hergé encore, de Catherine Meurisse, d’érotisme en strip et d’une autre revue « le Crapaud à lunettes », un mensuel destinée aux jeunes helvètes. Faites passer, c’est de la très bonne BD !
Festival de Bande dessinée de Lausanne, du 15 au 19 septembre.
La Grande aventure du journal Tintin 1946-1988 – Les Editions Moulinsart et Le Lombard.
Bédéphile – Numéro 2 – Revue annuelle de bande dessinée – Les Editions Noir sur Blanc.
La grande aventure du journal Tintin - Tome 0 - La grande aventure du journal Tintin
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