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Bande dessinée: les classiques ne se démodent pas!


Bande dessinée: les classiques ne se démodent pas!
Détail de la couverture de Corto Maltese, Equatoria

La BD ne déçoit jamais. Surtout en période de rentrée littéraire déprimante. La preuve par le colonel, le détective et le marin.


La rentrée littéraire ne passionne guère un public qui ne lit et ne vote plus. Peut-on le blâmer ? La production actuelle ne l’incite guère à dépenser une vingtaine d’euros pour se coltiner un roman où le style et l’histoire patinent. Les Français cherchent des référents, du solide, du costaud afin d’affronter une actualité démoralisante. Ils ont besoin de croire en des héros providentiels, de s’extraire quelques heures de la torpeur actuelle. L’évasion n’est pas un crime. Et les libraires veulent faire tourner leur boutique. Ils savent que la BD ne les déçoit jamais. Elle assure un fonds de roulement, paye les charges, attire toutes les générations et vient redonner des couleurs à une activité fragile. Et, n’en déplaise aux progressistes en herbe (autant qu’aux grincheux qui continuent à voir dans la BD une sous-littérature), c’est dans les vieilles cases qu’on fait les meilleures BD. Les classiques ne se démodent pas. Les héros de notre enfance résistent au « dégagisme » ambiant. Le colonel Harold Wilberforce Clifton, le détective Nestor Burma et le marin Corto Maltese tiennent la barre.

Clifton se marie ?

Le 23e album de l’ère post-Macherot (créateur du personnage à la fin des années 1950) est sorti début septembre aux éditions Le Lombard. Surprise, Turk est de retour au dessin et ça se voit ! Merveille de précision, il est le maître incontesté des décors so british ! Avec lui, une Triumph TR3 ou une Jensen Interceptor (des modèles automobiles) ne ressemblent pas à une Fuego ou une Renault 14. Ces détails comptent beaucoup pour plonger le lecteur dans une douce anglomanie. Il sait dessiner un duffle-coat avec des boutons en corne, un trench à la doublure tartan et les rues de Londres remplies de bus double-decker comme personne. Avec Bob de Groot au scénario, ils ont fait les grandes heures de cette série dans les années 1970. À relire absolument, Ce cher Wilkinson ou Une panthère pour le colonel, archétypes des BD (tout public) truffées de gags et de second degré. Dans ce nouvel album, Just Married, Turk fait équipe avec le scénariste Zidrou, c’est vraiment très réussi ! On en sait un peu plus désormais sur l’enquêteur-célibataire, pris en tenaille entre sa domestique, Miss Partridge, et ses chats qui lui pompent sa pension, mais aussi sur ses hobbies : la collection de bagues de cigares et sa légendaire MG rouge. Les auteurs vont même jusqu’à faire apparaître le père de Clifton, général bourru. Les Clifton père et fils devront stopper une vague d’attentats qui s’attaquent aux mariages, notamment celui de la princesse Margaret. « Reste à espérer que ce mariage mettra un terme aux ragots que colporte la presse socialo-communiste concernant les bien innocents écarts de conduite de la sœur de notre souveraine », ironise le colonel à la retraite. On se régale, les dialogues grincent, le méchant français porte le nom de Napoléon et ressemble à Sarko. Les enfants et les adultes en redemandent. Un 24e album, Lord Gun-Gun, est déjà en préparation.

Burma sur la Croisette

Le détective de choc débarque à Cannes afin de protéger le comte de Fabrègues qui se sent menacé depuis plusieurs jours. Nous sommes en septembre 1946, la Côte d’Azur bruisse sous les flashs de la première édition du Festival international du film. C’est un Nestor Burma mal rasé, tout chiffonné par son voyage, galurin branlant sur la tête, qui se rend chez l’aristocrate. Trop tard, son client s’est « suicidé ». Cette nouvelle enquête, L’Homme au sang bleu, texte et dessin d’Emmanuel Moynot d’après l’œuvre de Léo Malet, sortira en librairie le 11 octobre dans un album relié.

Mais, conformément à son habitude, Casterman a publié cette histoire sous la forme d’un journal papier en trois feuilletons. Ne manquez pas cette série old school, noire et cafardeuse. Nestor quitte sa zone de confort, Paname et l’agence Fiat Lux pour prendre un bain de soleil meurtrier. On lit cette intrigue en charentaises, où le commissaire de police local s’appelle Ange Pellegrini, où une certaine Jacqueline est danseuse à l’Eldorado et où les affaires se règlent à coups de pastaga. Difficile de démêler le vrai du faux, entre biffetons contrefaits, collections de photos et personnages sortis de la série noire. Et puis, il y a la belle Hélène, l’indispensable secrétaire du privé, avec sa frange et sa robe légère.

Corto en Afrique équatoriale

Le marin est taquin. Il traverse les mers sur un coup de tête à la recherche d’un miroir magique ayant appartenu au Prêtre Jean « dans lequel (ce dernier) pouvait observer n’importe quelle partie de son royaume ». Où se trouve désormais cet objet rapporté des Croisades ? Venise 1911 est le point de départ de cette nouvelle aventure autant physique que spirituelle du commandant Corto Maltese, créé par Hugo Pratt. Depuis le dernier album, la franchise a été reprise par deux auteurs espagnols, Juan Días Canales au scénario et Rubén Pellejero aux illustrations, qui signent Equatoria. Les lecteurs du Figaro Magazine ont eu la chance de lire en avant-première cette série déclinée en huit feuilletons durant tout l’été avant sa parution le 27 septembre en album relié. L’intrigue est compliquée comme la psychologie mélancolique du héros, tantôt portée vers l’action, puis l’introspection.

Son bateau en partance pour Malte est d’abord dévié vers Alexandrie où il sauve Winston Churchill d’un attentat nationaliste. Il se dirige ensuite vers Zanzibar sous la protection de Henry de Monfreid et en compagnie d’une esclave. La vie de marin n’est pas de tout repos. Si tout cela ne suffisait pas, il prend sous son aile sœur Lise et la fille germano-africaine d’Emin Pasha, le dernier gouverneur d’Equatoria. Chez Corto, le voyage est toujours tourmenté, il n’est qu’un prétexte à la rêverie et à bousculer les démons du passé.

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Octobre 2017 - #50

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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