A 60 ans, son trait est toujours aussi architectural, sa lumière brûle la rétine et ses couleurs font monter la température d’un cran. Le lecteur sue à grosses gouttes en tournant fébrilement les pages de son album Black Dog, paru chez Casterman, d’après un scénario de Jean-Claude Götting. Jacques de Loustal ne pratique pas la câlinothérapie comme certains de ses confrères bédéistes. Ne comptez pas sur lui pour truffer son récit de mots doux et clôturer par un « happy ending » à la gloire des peuples réunis. Il laisse la fraternité et autres fadaises humanistes aux amuseurs de patronage. Son cadre de travail, depuis sa collaboration à Métal Hurlant, a le parfum du désenchantement.
L’homme misérable y est dépeint sous toutes les coutures. Le soleil assommant plombe la vue de ses héros de papier. Les films de gangsters des années 50-60, qui ont nourri son imaginaire, aiguisent la violence de son pinceau. Cet homme-là a la nostalgie d’une Amérique désolée qu’il traversa durant sa jeunesse. L’ironie des destins fracassés constitue sa matière première. Les espaces désertiques cimentent la pensée. Alors, est-ce encore de la bande-dessinée ? Oui, si l’on compte les cases et les bulles. Non, si l’on considère Loustal comme un illustrateur de premier ordre. Un paysagiste de la mouise. Un peintre de la noirceur en Technicolor. C’est pourquoi son univers graphique correspond à l’âpreté de Simenon, Denis Lehane, Jerome Charyn ou encore Jean-Luc Coatalem.
Dans Black Dog, remake de Noir (éditions Barbier & Mathon), il a convaincu Götting de transposer son histoire originale aux années 70-80. Le résultat est somptueux, d’une cruauté sans rédemption possible. Chaque planche pourrait être exposée dans un musée et rendre fou de rage les artistes officiels. Les collectionneurs ne s’y trompent pas et reconnaissent depuis longtemps la haute valeur picturale de ses œuvres. Dans cette aventure qui ressemble à une farce morbide, tous les ingrédients du désastre sont en marche : une blonde nympho à lunettes, un grand chien noir, une piscine bleu électrique, un inspecteur de police et des mauvais garçons prêts à tout pour une poignée de dollars. Le tout, dans un décor hollywoodien stylisé jusqu’à l’épure. Stefan Slovik, mécano fraîchement viré par son patron et ne maîtrisant que quelques mots d’anglais, va croiser la route de Monsieur Deville, un mafieux enragé qui ne lui laissera aucune porte de sortie. L’argent et le sexe ne sont que des prétextes au déchaînement des hommes. C’est de la tragédie antique avec de longues voitures américaines et une fille en bikini rouge sang.
Black Dog, Loustal et Götting, Casterman.
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