Accueil Culture Bambi: « Désormais l’idée de se moquer d’eux-mêmes ne viendrait même plus à l’esprit de nos comiques »

Bambi: « Désormais l’idée de se moquer d’eux-mêmes ne viendrait même plus à l’esprit de nos comiques »

Elle était une fois Bambi


Bambi: « Désormais l’idée de se moquer d’eux-mêmes ne viendrait même plus à l’esprit de nos comiques »
Marie-Pierre Pruvot, dite Bambi. © Gerard Julien / AFP

Née Jean-Pierre en 1935, Marie-Pierre Pruvot dite Bambi a changé de sexe à 25 ans. Après avoir enchanté les cabarets parisiens, cette reine de la nuit est retombée dans l’anonymat en devenant professeur de lettres puis écrivain. Retour sur ses vies multiples.


Bambi est né(e) Jean-Pierre Pruvot en 1935 dans le village d’Isser en Algérie. Dès son plus jeune âge et malgré son corps de garçon, elle a la certitude d’être une fille. Alors que le jeune Jean-Pierre a 16 ans, il assiste à une représentation du célèbre cabaret de travesti Le Carrousel, en tournée en Algérie. Son sort est alors fixé. Il fuit l’Algérie pour rejoindre Paris et entrer au Carrousel. Bambi fait ses débuts chez Madame Arthur à l’âge de 18 ans, puis intègre la troupe du Carrousel et en devient rapidement la vedette. Elle connaît alors la gloire et devient une figure des nuits parisiennes. En 1961, elle se fait opérer au Maroc, obtient quelque temps plus tard son état civil féminin et devient officiellement Marie-Pierre Pruvot. Tout en continuant le Carrousel, elle reprend ses études puis passe le bac à l’âge de 33 ans. C’est ensuite la Sorbonne, la maîtrise puis le Capes. Elle devient professeur de lettres à Cherbourg, puis à Garges-lès-Gonesse où elle reste vingt-cinq ans dans le plus grand anonymat. Elle se consacre ensuite à l’écriture. Elle publiera neuf livres. En 2013, Bambi, un film documentaire de Sébastien Lifshitz, lui est consacré et est nommé aux Césars.

Causeur. Avec les complications que l’on imagine, liées aux problèmes de genre, vous avez dû accomplir un véritable parcours du combattant ?

Bambi. C’est vrai, j’ai dû lutter. Mais j’ai pris tout ça avec philosophie. Évidemment, j’ai dû m’imposer, mais cela a été relativement facile à travers le spectacle. Le reste a été fait dans l’anonymat. Pour moi, changer de sexe, ce n’était pas vraiment un changement, mais une affirmation de moi-même. Et puis, j’ai fait tout cela dans le spectacle, et dans le spectacle j’étais heureuse. J’avais une jolie place, j’avais mon petit succès. Malgré les ennuis avec la police, qui à l’époque n’était pas tendre avec nous, j’ai eu une très belle vie. Après le spectacle, on allait toutes dans les petits « restaurants d’artistes », on soupait jusqu’à sept heures du matin, si l’on n’avait pas beaucoup d’argent on mangeait un œuf dur, on chantait, enfin on s’amusait beaucoup ! Mais, voyez-vous, le parcours du combattant, je ne l’ai pas fait contre la société, je l’ai fait contre moi, contre les plaisirs que je prenais dans la vie et qui m’empêchaient de reprendre mes études. Car j’ai toujours été poursuivie par le fait d’avoir arrêté mes études, je n’avais pas le bac. J’avais tout fui très tôt, j’avais fui l’Algérie, et je me suis retrouvée à Paris au cabaret. Ma mère me poursuivait, elle me disait que le cabaret ne durerait qu’un temps, que je ne pourrais pas faire ça toute ma vie.

On a vécu une belle époque, cette époque est terminée. Personne ne peut se douter à quel point nous avons été chanceuses, heureuses, libres et insouciantes

En tout cas, votre discours n’est jamais victimaire.

Non ! Surtout pas ! Aujourd’hui, être victime est devenu une espèce de filon, on se crée une place avec ce statut. Je me rappelle une émission de PPDA, où un homme qui n’était pas très lettré avait dit : « Je désire obtenir une statue de victime. » Le pauvre confondait un statut et une statue, mais c’est exactement ce qui se passe. Les gens veulent se faire valoir non pas par un succès, mais par un échec.

Cette mode victimaire est très présente aujourd’hui avec un certain féminisme opportuniste. À l’époque, pas du tout ! D’ailleurs, le comique chez Madame Arthur était fondé sur l’autodérision. On ne se moquait pas des autres, on se moquait de soi. Désormais, l’idée de se moquer d’eux-mêmes ne viendrait pas à l’esprit de nos comiques. C’est que, si on se moque de soi, on risque de choquer sa propre « communauté ». Si maintenant je faisais de l’humour sur les transsexuelles, la communauté trans me reprocherait de leur faire du tort.

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Aucune association ne vous a aidée, vous avez tout fait toute seule.

Oui. À mon époque, il fallait se battre avec ses propres atouts. Aujourd’hui, on dit aux professeurs que tous les élèves ont la même intelligence et que c’est à eux de trouver les capacités de chacun. Mais on ne peut pas trouver les capacités de chacun dans une classe de 30 élèves ! On a un programme et il faut avancer. Il y a des gosses qui ne sont pas du tout faits pour les études, ils ont sans doute d’autres qualités, mais ce n’est pas au professeur de découvrir ces capacités ignorées.

En somme, changer de sexe, devenir une femme vous a menée à la scène, à laquelle vous avez pris goût, et vouloir devenir une femme comme une autre vous a conduite à la quitter ?

Oui, c’est bien résumé. Je voulais être Mme Tout-le-Monde,/ je voulais goûter à cela, à la vie normale. Et j’y ai goûté pendant trente ans. Personne, ni l’administration, ni les collègues, ni les élèves, ne connaissait mon parcours. Je me sentais enfin « comme les autres ».

Et que vous inspire la volonté de « démocratisation », voire la mode, du transgenre ?

Évidemment, quand on prescrit des antihormones à des enfants de 12 ans, je me pose des questions ! Tout cela est très compliqué. Comment savoir si la jeune personne fait réellement le bon choix ? Il y a aussi des personnes qui font cela par mimétisme, parce qu’elles sont en recherche de leur propre identité. J’ai d’ailleurs moi-même été très gênée de voir des personnes me prendre pour exemple, cela m’a posé un problème personnel. Je ne suis nullement un exemple !

Vous dites toujours avoir voulu être fille, depuis votre plus tendre enfance. Mais avez-vous des souvenirs de petits garçons ? De moments où vous ne vous êtes pas senti fille ?

Mais j’avais conscience d’être un petit garçon ! Et j’en étais malheureuse. C’est pour cela que je n’aimais pas être à l’école. Parce que c’était une école de garçons. Quand on sortait en promenade avec la classe dans le bois d’eucalyptus, la maîtresse me disait d’aller jouer avec mes camarades, c’était une souffrance, ça me rappelait que j’étais un petit garçon. Et en grandissant, c’est devenu épouvantable. Je ne savais pas comment faire, je tournais en rond, il fallait que je parte. Heureusement que le Carrousel est venu en tournée en Algérie. J’avais 16 ans et j’ignorais tout des hormones et de tout cela.

Vous ne connaissiez donc même pas l’existence des travestis ?

Mais non ! Je ne savais rien ! Et puis à l’époque j’avais même un préjugé contre les homosexuels. Je ne voulais surtout pas être « ça ». Et lorsque j’ai découvert le Carrousel, à Alger, je me suis dit : « Il faut partir à Paris. » J’ai quitté le lycée et je me suis retrouvée à Paris avec le Carrousel.

Pour conclure, préféreriez-vous avoir 20 ans et vous construire aujourd’hui, où c’est sans doute plus facile que dans les années 1960 ?

J’aimerais évidemment être plus jeune aujourd’hui (rires). Mais les autres filles du Carrousel et moi, on se dit qu’on a eu de la chance, qu’on a vécu une belle époque, que cette époque est terminée, et que personne ne peut se douter à quel point nous avons été chanceuses, heureuses, libres et insouciantes. Grâce au Carrousel, nous avons gagné notre vie sans avoir à passer par la prostitution, nous avons voyagé et nous nous sommes beaucoup amusées.

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Juin 2020 – Causeur #80

Article extrait du Magazine Causeur




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est comédien.

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