Bon, autant prévenir mes copains tout de suite : attendez-vous, dans les mois à venir, à voir arriver sur les fonts baptismaux une ribambelle de petits Jackson ou de petites Bambi. Bébés encore innocents, et déjà victimes des lubies parentales qui distinguent mal enfant et jouet. À la manière des noms donnés aux poneys et aux caniches, les prénoms dont certains affublent leurs rejetons nous permettent de connaître de facto leur millésime. Seule exception pour les petits Johnny qui éclosent inlassablement depuis 50 ans et passent leur prime jeunesse déguisés en idole des jeunes. Car autrement, la cote des prénoms suit de près la courbe d’audience des séries américaines.
Il n’est pas nécessaire d’avoir lu Bourdieu pour comprendre qu’un prénom en dit bien plus sur vous que la couleur de vos chaussettes ou de votre bulletin de vote. Car si ces dernières relèvent de l’acquis, le premier est inné ou presque, à 24 heures près. Difficile de faire croire que vous avez pratiqué le piano et l’équitation toute votre enfance, et que vous avez écumé rallyes et pèlerinages quand vous vous appelez Brandon ou Kimberley. A tort ou à raison, on se dira plutôt que vous étiez abandonné devant la télé pendant que papa était parti encourager maman qui participait à un concours de T-shirts mouillés.
Une étude sociologique approfondie – qui m’aura bien pris cinq minutes – permet de constater une répartition en trois grandes catégories : les prénoms à connotation moyenâgeuse plaisent aux familles qui écrivent « tradition » avec un T majuscule, les prénoms normaux (Nicolas, Basile, Marc, François, Élisabeth, etc.) ont la préférence des familles équilibrées, croyantes mais peu pratiquantes, à la fois ouvertes à la modernité et moralement intègres, et les prénoms « TV shows » sont l’apanage de ceux qui tendent vers ce que les américains qualifient crûment de «white trash ».
Vous aurez compris qu’il ne s’agit pas, ici, de faire du pacorabannisme : ce n’est pas le prénom que l’on donne au gamin qui conditionnera sa future carrière. Appelez le vôtre Fidel, Bernard-Henri ou Sylvio : vous n’aurez aucune garantie de résultats tangibles. Non, mais si, d’une manière ou d’une autre, nous avons à porter le poids de l’éducation reçue, notre prénom amplifie cet héritage en le rendant ostensible, comme dirait l’autre.
Maintenant, chacun fait ce qu’il veut, c’est pas mes oignons, à vrai dire. Tout le monde s’en tape désormais, même l’état-civil qui refusait jadis, les Cerise ou Framboise. D’ailleurs, reviendrait-on à l’insupportable pratique d’antan, celle qui faisait que l’Etat républicain ne validait que les appellations issues du who’s who des saints catholiques, qu’il y aurait moyen de moyenner. Car qui peut jurer qu’un jour le Roi de la pop ne sera pas canonisé, en même temps que la princesse Diana, Sœur Emmanuelle et Yves Saint-Laurent ?
Avec tous les abats qu’on lui a retirés du ventre lors des autopsies successives, on pourra fournir des dizaines d’églises en reliques de première catégorie…
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