Face aux Chinois, Biden ne se dégonfle pas. Retour sur le psychodrame du week-end autour de l’OVNI chinois…
Après tout, cette folle histoire autour du ballon chinois est une histoire de guerre froide avant tout. Cette pale caricature de l’affaire U-2 est une anecdote typique d’un climat de tensions entre deux puissances (souvenez-vous de cet avion espion américain, volant à peu près à la même altitude que le ballon chinois de ce week-end, et abattu par les Soviétiques en 1960).
Les technologies impliquées ne sont pas très avancées, et, puisque l’engin concerné n’est pas piloté, il n’y a eu ni mort ni prisonnier.
Pourtant, l’incident est spectaculaire, au sens propre comme au figuré. De l’annonce du survol de l’État du Montana et de ses bases stratégiques, jusqu’à son interception par un F-22 au large des côtes de l’État de Caroline du Sud, la planète a pu suivre la trajectoire stratosphérique du dirigeable au-dessus du continent américain. L’objet volant et l’objet médiatique ont occupé les télévisions et les opinions publiques mondiales.
Gros comme trois autocars
Avant de parler des dimensions politique et géopolitique de l’incident, que dire du fond de cette affaire ? Il y a une semaine, les autorités américaines ont repéré ce dirigeable gros comme trois autocars : il aurait pénétré dans l’espace aérien américain au niveau des îles Aléoutiennes (à l’ouest de l’Alaska). Le dirigeable, identifié comme chinois (et reconnu comme tel par la Chine), est alors qualifié par les autorités américaines de moyen de renseignement militaire. Il porte une charge utile composée d’un ensemble d’équipements de mesures et/ou de surveillance. Les Chinois font alors savoir qu’il s’agit d’un engin civil dont l’objectif est de recueillir des informations météorologiques. Après la destruction du ballon, les Chinois ont exprimé leurs vives protestations, et ont limogé le patron du service national de météorologie. Leur message est donc: les Américains font tout un plat de la maladresse d’un fonctionnaire ! Pour le moment, on n’en sait pas beaucoup plus, si ce n’est qu’il est avéré que les Chinois n’ont pas informé les Américains en amont du passage de leur ballon – ce qu’on aurait attendu d’eux dans le cas d’un engin météorologique hors de contrôle.
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Si les Chinois mentent, qu’espéraient-ils d’un tel survol ? Il est peu probable que les informations recueillies – s’il s’agit bien d’un moyen de renseignement militaire – soient de qualité nettement meilleure que celles glanées par les satellites. Or, la Chine possède une solide constellation de satellites d’espionnage : les Yaogan. Mais tout comme pour le fameux ballon qui a agité les esprits ce week-end, les Chinois prétendent que leurs moyens satellitaires d’observation de la Terre servent exclusivement à l’évaluation des récoltes, à la prévention de catastrophes naturelles, à la planification urbaine ou la recherche scientifique… Cependant, compte tenu de leur orbite, des instruments qu’ils portent et du rythme des lancements, il s’agit bel et bien de satellites à usages militaires. Les satellites survolant la Terre à une altitude de 160 km couvrent systématiquement et régulièrement les régions qui ont un intérêt stratégique pour Pékin. Il n’est pas sûr que le ballon ait pu glaner des informations plus sensibles qu’eux. Il est cependant vrai que les ballons peuvent s’attarder au-dessus de sites présentant un intérêt particulier. Mais, à 20 kilomètres d’altitude, ils ne sont pas non plus complètement stationnaires, et restent soumis aux vents d’altitude.
Selon les Américains, les Chinois ont envoyé en mission 20 à 30 ballons similaires au cours de la dernière décennie, dont cinq ont déjà fini leur tour du monde. Deux autres ballons sont d’ailleurs en mission, aujourd’hui même, dont un qui a survolé tout récemment le nord de l’Amérique latine. Voilà qui est intéressant. Cette dernière information est probablement la plus importante dans cette affaire. Contrairement à ce qui était insinué par la couverture médiatique, ce n’est donc pas du tout la première fois qu’un tel incident a lieu. Voilà des questions pertinentes : pourquoi un tel drame, cette fois-ci ? Et, s’il s’agit vraiment de ballons espions, quel est l’intérêt à survoler la Colombie ?
Théâtre à Washington et guéguerre froide
Nous n’avons pas échappé à un sketch comique entre Républicains et Démocrates.
Des élus républicains ont par pur opportunisme critiqué le président Biden quant à sa faiblesse vis-à-vis de la Chine. L’un d’eux a même appelé à sa démission. Le sénateur de la Floride, Marco Rubio, a tweeté que « si Biden ne veut même pas abattre un ballon, il ne fera rien si la Chine prend des territoires à l’Inde ou au Japon ou envahi Taïwan ». Le Pentagone a répliqué à toutes ces critiques, en indiquant qu’au moins trois ballons avaient survolé les États-Unis pendant la mandature Trump. Et qu’aucun n’avait alors été abattu !
Bref, plus on sait, moins on comprend. Pour le porte-parole du département d’État américain, la « violation claire de la souveraineté américaine » par la Chine rendait « inappropriée » la visite en Chine du secrétaire d’Etat Antony Blinken prévue cette semaine. Le déplacement de Blinken aurait pu annoncer qu’une page était tournée dans les dissensions sino-américaines. Au lieu de cela, les récents événements n’ont fait que souligner l’importance de ces tensions.
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Quelles conclusions peut-on tirer de cette affaire ? Tout d’abord, qu’elle n’est pas si grave: les Chinois ne sont pas beaucoup plus renseignés sur les États-Unis qu’il y a 15 jours. En revanche, dans ce petit jeu sans fin de guerre froide, les Etats-Unis ont exploité au mieux une erreur des Chinois. Dès que le ballon est entré dans l’espace aérien américain, Washington a eu la main et a pu décider comment jouer. Gérer l’affaire discrètement, ou en faire un psychodrame ? C’est l’option 2 qui a été choisie: exploiter au maximum la bourde chinoise, et mettre Xi Jinping dans l’embarras alors que le début du troisième mandat du président chinois est déjà semé d’embuches.
Quiconque connait un peu la façon dont fonctionne la Chine sait qu’il est en réalité probable que Xi et les autres dirigeants chinois ignoraient presque tout de ces dirigeables. Quel intérêt à créer des tensions, et pourquoi le faire ainsi ? Comme tous les leaders du monde, Xi ne contrôle pas tout et n’est pas omniscient. Même si, contrairement à la majorité des autres dirigeants de la planète, il essaie de faire croire qu’il sait et maîtrise absolument tout. Surpris, les Chinois ont dû réagir vite, une autre chose qu’ils n’aiment pas faire. Les Américains ont donc bien joué la partie:ils ont marqué un point dans un très long match, dont le score final se mesurera en milliers de points.
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