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Croisade féministe: le tribunal des flagrants délires


Croisade féministe: le tribunal des flagrants délires
Oprah Winfrey et Harvey Weinstein, 2013. Sipa. Numéro de reportage : AP21631418_000002.

La campagne #Balancetonporc continue. Relancé par la tribune de Peggy Sastre, Catherine Millet, Catherine Deneuve qu’a co-signée une centaine de femmes dont Elisabeth Lévy, le débat semble interdit. On nous somme de considérer tout acte de séduction comme une agression sexuelle. Accusés porcs, levez-vous!


On connaît le proverbe : « Tous les cochons ne sont pas dans les étables ». Non seulement, ils ne le sont pas, mais ils sont partout. Balancé depuis les Etats-Unis par le clavier de Sandra Muller, une journaliste française installée à New-York, avec le hashtag #BalanceTonPorc, le porc est devenu, en quelques secondes, le bouc-émissaire de notre planète. Lui, cet animal nourricier, si proche de l’homme (son cousin germain), le voilà redevenu cet animal vil, sale, pornographique, jeté en pâture à notre dégoût dans notre pourrissoir sociétal. Une odeur de porcherie nous a envahis. Au Moyen-Âge, dans les procès faits aux animaux, le cochon (sous-espèce du sanglier sauvage) figurait en première place au banc des accusés. Il était temps, dans notre France moderne, de convoquer nos porcs devant le tribunal. C’est chose presque faite avec la future loi de 2018 sur le harcèlement sexuel. Marlène a mis son brassard. Accusé porc, levez-vous !

L’appel à balancer triomphe

Le premier porc s’appelait Harvey Weinstein. Tout le monde a feint la surprise et l’horreur devant ses turpitudes. Comme si nous n’avions pas atteint, en tout et pour tout, des sommets dans le stupre et la stupéfaction. Usque ad nauseam. Cela fait pas mal de temps d’ailleurs que l’Atlantique déverse sur notre continent pas mal d’idées et d’humeurs insalubres. Mais ce qui est inouï, ce n’est pas le porc, c’est l’appel à balancer auquel des milliers de gens répondent. C’est à qui raconte sur les ondes ou la Toile « son histoire de porc perso ». Il y a quelques semaines, dans les cabines d’essayage d’un magasin de vêtements, la radio injectait, à jet continu, des histoires de porcherie dans les esprits des « mamans » qui tremblaient pour leur petite fille de 13 ans. Entre le viol, les harcèlements et les attouchements, il y avait de quoi, en effet, balancer à l’avance : « Si je tenais le salaud qui VA lui faire du mal à ma gamine »… Ce climat est nauséabond. L’adjectif, pour une fois, est approprié. Si j’étais Emmanuel, Paul et les autres, je me méfierais de cette déferlante puante. Car tout un chacun est à l’affût de l’affaire scandaleuse concernant telle ou telle personnalité du show-biz ou du monde politique qui va « sortir » de la bauge aux cochons.

Libérer la (bonne) parole

Au Moyen-Âge, les porcs « girovagues » étaient pourchassés. Marlène Schiappa s’engage contre la vagance des porcs… dans les transports. La militante écologiste Sandrine Rousseau, victime présumée de Denis Baupin, ouvre une cagnotte pour les victimes des porcs qui financera « des locaux accueillant des groupes de parole » parce que tout vient de la faculté donnée de « libérer la parole ».

Le président avait parlé dans son interview présidentielle de cette « parole libérée » et de la mesure à prendre. En France, c’est la loi. Mais le chantier s’annonce difficile. Les délits sexuels sont l’un des champs pénaux « les plus compliqués à traiter. » Les plus complexes car il y a deux problèmes : celui « de la preuve et celui du consentement » et les infractions ne sont pas toutes « chimiquement pures. » Quand peut-on parler de viol ? Quand commence le comportement prédateur ?  Où s’arrête le consentement ? « Il y a des viols sans trace de violence ou d’ADN et quand il n’y a pas de témoins, il s’agira pour les magistrats de renverser la présomption d’innocence ».

Les mouchards ont de l’avenir

Du pain sur la planche en perspective : des emplois à créer ? De petits mouchards, par exemple ? Comme on parle d’une police du voile, va-t-il y avoir la police du viol ? Un détecteur de violence (gestes et intentions) mis en place aux points chauds de nos villes ?  Aux heures de pointe dans les métros, par exemple ? Les chiffres donnés par Le Figaro font frémir : 46 viols par jour signalés en France à la police, une infraction sexuelle toutes les 10 minutes, 264 harcèlements quotidiens. Ajoutez à cela 13 000 atteintes sexuelles. Malgré l’effroi, on se demande : « Ces chiffres, est-ce bien raisonnable ? ». Que tout un chacun, en tout cas, fasse attention : l’abrogation en 2012 de la loi sur le harcèlement sexuel fait de chacune de nous une victime effective ou potentielle.

La fin de l’amour courtois

Derrière tout ça, c’est une conception alarmante des rapports entre homme et femme et pas seulement amoureux qui se dessine en traits accusés. Faut-il en rire, en pleurer ? Que ce soit la fin de l’amour courtois est une évidence : celle de la quête et de la conquête, de tout ce qui fait le charme des rapports entre homme et femme dans notre Occident civilisé. Un sifflement admiratif, un regard appuyé et flatteur, une main serrée qui en dit plus qu’un baiser… et hop, vous vous trouveriez balancé ! On ne pourrait plus conter fleurette ? Oui, Monsieur l’agent, je viens dénoncer mon porc : « J’étais avec lui au café, je buvais mon lait grenadine et il m’a matée dans la glace, j’en ai rougi. Je me suis sentie violée jusqu’au tréfonds de moi-même. » Et voilà comment on refait le thème de la rencontre amoureuse : « Et leurs yeux se rencontrèrent ». Pitié pour les hommes violés !

Bien entendu, il ne s’agit pas de prendre le parti du violeur ni de prôner « la loi du silence ». Elisabeth Lévy l’a bien dit. Mais remplacer la loi du silence par celle de la balance, malgré l’euphonie des mots, c’est inquiétant. Les jeux de pouvoir et d’argent ont toujours voisiné avec le sexe. Un porc célèbre de la politique, piégé par des gens qui ne valaient peut-être pas mieux que lui dans ce domaine-là, s’amuse-t-il de toutes ces balances ?

Je balance ma porcette!

Que les « victimes » des porcs ne fassent pas les oies blanches. On n’entre pas dans le monde du cinéma et du show-bizz pour ne jouer que des enfants de chœur. Car l’inquiétant c’est qu’un monde frelaté impose sa loi dans notre monde quotidien. Dire cela, ce n’est pas justifier un comportement « prédateur » mais prêter voix et conscience comme on le faisait au Moyen-Âge au porc qui viendrait dire : « Maîtresse Marlène, eh bien, je vais balancer ma porcette. Elle avait une tenue ceci, une tenue cela, elle m’a fait croire ceci, elle m’a embobiné cela. En fait, elle avait un autre porc en vue, elle voulait me tirer de l’argent. J’étais encore un petit cochon de lait, pas verrat pour deux sous etc. » On arrête ici. Les rapports entre homme et femme ne sont plus normaux. On n’en est plus à la guerre des sexes – horrible expression !—mais à des affaires puantes.

Dans un sonnet des Fleurs du mal, « A une passante », quel élève, n’a cru que cette veuve  « en grand deuil » rencontrée dans la rue et qui soulève légèrement l’ourlet de sa robe pour éviter la boue (les caniveaux n’existaient pas) dénudait sa jambe jusqu’à la taille comme dans une gravure de Toulouse-Lautrec ? Certes, si le geste de cette veuve n’est pas dénué d’une certaine coquetterie, c’est qu’on est à l’époque où la vue d’une cheville féminine suffisait pour que le monde chavirât dans le regard et le cœur. Du poète en tout cas. Baudelaire a vu ses Fleurs du mal censurées. Qu’est-ce qu’il aurait connu avec la police des regards et des cœurs !

Que la femme se passe de l’homme!

Il y a peu de temps, le bruit courait qu’il s’en serait passé de belles dans les corridors des Chambres. On se souvient du tollé, lors d’une séance parlementaire, des députés, dénonçant les sifflets du camp adverse quand Madame Duflot, ayant troqué son jean pour une jupe fleurie qui incitait, avant la lettre, à mettre en œuvre l’invitation poétique lancée par notre président, lors d’un meeting, à « penser printemps ».

Les députés ont été traités de vilains machistes. Avec la future loi, ils seraient coupables d’être de gros porcs ? L’avantage est qu’on n’aurait pas à balancer : tous au trou ! Faudra-t-il débaptiser le mot « Chambre » trop équivoque ? En reviendra-t-on aux procès faits, dans toute l’Europe du XIIIe au XVIe siècle, aux animaux, sans que soient précisés  nettement le crime ou la faute commis par l’animal ? Quelle marche en arrière ! A partir du moment où un regard peut en dire plus que toute parole et tout acte, on souhaite bien du flegme sinon du plaisir à notre justice pour tenir équitables les fléaux de sa balance.

Le but de cette histoire porcine semble clair : il faut que la femme se passe de l’homme. L’homme, déjà évincé de la paternité est évincé du champ amoureux. Il doit même être hors champ. On voit quelles causes cette éviction peut servir dans les domaines adjacents. Mais quel est l’intérêt politique de pareille police des mœurs ? Se créer un électorat ultra féministe nouveau ? Car enfin, si combat réel il y a contre un harcèlement, Alain Finkielkraut l’a dit : « il ne passe par la balance ». Le porc est un animal tabou dans certaines religions. S’il a été de tout temps dénigré, c’est à cause de son genre hybride, de son mauvais genre. En faire un bouc émissaire doit bien servir « quelque part »  une cause ultra féministe et être, en même temps, le symbole d’un échec annoncé de leurs revendications.

Larry Flint en parangon de vertu

Nous sommes tous des pourceaux d’Epicure, c’est entendu. Mais si les hommes sont des cochons et même des porcs, les femmes peuvent être aussi des cochonnes, parité et égalité oblige. L’exacerbation des droits déraisonnables conduit à l’hystérie. Tarissons ces odeurs de porcherie et de délation. Nous sommes sur une pente dangereuse. Le pornographe Larry Flint a offert 10 millions de dollars à qui dénoncera le président américain pour le destituer. Sûr, comme le dit un autre proverbe qu’il ne faut pas « offrir une rose à un porcelet » mais de là à voir des porcs partout… On se souvient du film Parfum de femme de Dino Risi avec Victorio Gassmann. On a dans les oreilles l’air célèbre de Don Giovanni : « Mi pare sentir odor di femina » (« Il me semble sentir l’odeur d’une femme »). On se prend à rêver qu’un homme soit heureux d’avoir remporté, en tournoi amoureux, « la manche et la belle » et fasse une belle œuvre artistique pour témoigner que les hommes et les femmes n’ont pas vocation à se vautrer dans la fange.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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