Anne Zelensky, féministe « historique » et présidente de la Ligue du Droit des Femmes, salue la campagne #balancetonporc mais refuse de voir dans le mâle blanc la source de tous les maux.
Ça balance tous azimuts autour de la planète, les passions se déchaînent enfin à propos du harcèlement sexuel, mais comme toujours il y a une victime désignée : l’esprit de nuances. Il regarde passer, déconfit, les balles de ping-pong, un coup sur la droite, un coup sur la gauche. Il faut choisir son camp. Si on n’est pas pour, c’est qu’on est contre. Sans atermoiements. Ou bien on est pour les victimes à fond, ou bien on ricane contre les excès d’icelles.
La salutaire révolte des femmes…
La logique de camp est plus que jamais à l’œuvre. Quels sont les camps qui s’opposent ? Le premier ratisse plutôt à gauche et compte les adeptes de la pensée correcte : néo-féministes, médias avec pignon sur rue, antiracistes patentés… Le deuxième regroupe les « réacs » selon l’autre camp : la dite « fachosphère », les médias de droite, et certains intellectuels… Or, beaucoup d’entre nous, et surtout pas moi, ne se reconnaissent dans ces clôtures. « Où est-ce qu’on se Mai ? » affichait déjà lors d’un joli mois de Mai, une banderole d’une de nos joyeuses manifs féministes des années 1970.
Au fait, d’où je parle ? J’ai organisé en 1985, le premier colloque sur le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, où Simone de Beauvoir venue nous soutenir, fit sa dernière apparition publique. Gros succès médiatique. Plus de 300 articles de presse, et émissions, publication d’un livre : Harcèlement sexuel : scandale et réalités avec Mireille Gaussot (éditions du Rocher 1986). Je savais bien que ce n’était qu’un début, mais j’ai quand même savouré le plaisir de constater plus de 30 ans après, la salutaire explosion contre le harcèlement sexuel.
…valait bien quelques excès
Je ne m’y attendais cependant pas car je sais que « la vie est lente et l’espérance violente », et qu’en matière de libération, les choses vont à leur train de sénateur. A ce propos, les roucoulades sur « en France, il n’y a plus de problèmes homme-femme », ou bien « vous voulez en finir avec la galanterie et le désir ? Annuler la différence des sexes ? », me font grincer des dents. Je ne vais pas avoir l’indécence de rappeler les écarts de salaires, les violences en tous genres contre les femmes, etc. Ici encore, l’esprit de nuances s’impose.
Oui en 40 ans, en Occident, la condition des femmes a avancé plus vite qu’en 1000 ans. Mais quand on revient de si loin, il faut du temps pour la remise à niveau… Alors comme beaucoup d’entre nous, j’ai un pied dans chaque camp. Je laisse mon esprit se balancer librement de l’un à l’autre. Je suis féministe « historique » et, à ce titre, j’observe avec bienveillance, la juste révolte de mes consœurs. Et même moi, je suis époustouflée par son ampleur. Pour la première fois dans l’histoire, il y a comme une prise de conscience collective des femmes qui brise avec leurs rivalités ancestrales. Un « nous » des femmes semble vraiment s’affirmer. Cela vaut bien quelques excès. Quand on ouvre la bouche d’un égout trop longtemps fermé, ça jaillit sans retenue. Inévitable. Pas de quoi s’offusquer et ricaner. Les persifleurs auraient moins ricané s’ils s’étaient fait éjecter de leur boulot par refus de passer à la casserole.
Ce n’est pas le mâle blanc qui…
Dans le même ordre d’idée, je suis de tout cœur, avec les signataires de la pétition des 314 qui ne veulent plus que le masculin l’emporte sur le féminin. Tant pis si on bouscule la grammaire, laquelle n’est pas innocente.
Là où je disside des néo-féministes et autres, c’est sur la question du mâle blanc qui concentrerait toutes les tares du machisme universel. Ce n’est pas le mâle blanc qui a agressé sexuellement des milliers de femmes à Cologne et ailleurs, fin 2015. Ce n’est pas le mâle blanc qui nous harcèle dans certains quartiers de Paris et d’ailleurs. Il y a des nuances dans le machisme aussi. Là où le mâle blanc existe, il y a indéniablement du mieux pour la condition des femmes. Je ne me laisserais pas aveugler par un antiracisme obsessionnel qui m’interdit de voir ce que je vois. Et je vois que les droits des femmes et leur liberté sont gravement menacées par certains mâles venus d’ailleurs qui veulent imposer ici leur machisme constitutif. Il y a des moments où il faut choisir son camp. Il y en a d’autres où la réalité nous impose sa complexité. L’esprit de nuances est alors un mentor indispensable. Baudelaire demandait que soit inscrit dans la Constitution le droit à la contradiction. Laissons-nous aller au gré de son mouvement qui balance.
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