S’il fallait ne décerner qu’un seul mérite à la campagne de dénonciation #BalanceTonPorc lancée sur Twitter, ce serait celui de lever le voile sur la violence inouïe d’une certaine police de la pensée féministe en France, pour ceux qui ne l’auraient jusque-là regardée qu’avec des yeux indifférents sinon bienveillants.
Il serait donc admis désormais qu’au seul titre de la peine, de la crainte ou de l’humiliation ressenties nous pourrions nous octroyer le droit de jeter à la vindicte populaire le nom de quelqu’un qui nous aurait causé du tort. Sous le prétexte d’une prétendue insuffisance de l’arsenal juridique (seule une part infime des harcèlements subis serait effectivement déclarée à la justice), la délation pure et simple se retrouve érigée en arme légitime saisie par les minorités opprimées, les femmes en l’espèce, et acquiert soudain ses lettres de noblesse.
Adieu veau, vache, civilisation…
Ce combat mené au nom du progressisme revêt paradoxalement les atours de l’archaïsme le plus profond. Il vient percuter frontalement un édifice judiciaire forgé par près de 3000 ans de civilisation, dont nous sommes les heureux héritiers et dont nous reconnaissons l’éminence dans notre modèle occidental de société. Et il se trouve que, de manière fort justifiée, nous avons élaboré des lois qui définissent précisément ce que sont le harcèlement sexuel d’une part, le viol d’autre part, qui donnent tous deux lieu à la condamnation du coupable. Avec #BalanceTonPorc, c’est comme si nous faisions table rase de notre société civilisée pour renouer avec une époque ancestrale où le droit n’existait pas et où le sacrifice expiatoire offrait l’unique voie pour endiguer la violence, comme l’a expliqué René Girard.
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Non contente d’avoir apporté le droit, notre civilisation a aussi engendré des mœurs et des coutumes qui nous sont propres, au titre desquelles la nature si singulière des relations entre hommes et femmes en Occident figure en bonne place. L’affirmation de la parfaite égalité entre l’homme et la femme par la religion chrétienne dès l’époque romaine, puis la valorisation de la courtoisie érigée en vertu chevaleresque durant le Moyen-Âge, en particulier en France, ont peu à peu lissé les aspérités de la brute nature masculine et tempéré leurs fougueuses ardeurs envers la gent féminine. Cette culture de la galanterie peut même confiner au sublime lorsqu’elle s’exprime dans le langage des arts, et l’on ne peut s’empêcher de songer avec émerveillement à Ronsard et son fameux poème : Mignonne allons voir si la rose. L’instruction de la littérature, combinée à une éducation des garçons dans un profond respect des jeunes filles et des femmes, a permis que la tradition courtoise se perpétue au fil des générations, au bonheur des dames françaises.
La loi du plus connecté
Mais tout vêtu de sa belle parure culturelle, l’homme n’en reste pas moins un homme, et si la forme a évolué, le fond naturel et instinctif est lui resté. Il n’a donc jamais ménagé ses efforts pour parvenir à ses fins séductrices, dût-il pour cela employer le pouvoir, l’argent ou la ruse (étant entendu que l’insulte, la violence et la menace physiques relèvent immédiatement du domaine de la justice). Jouir de sa position de force, abuser de la situation de faiblesse ou de la candeur de quelqu’un sont assurément des comportements moralement blâmables. Mais ils font partie de la nature humaine, et ne sont en outre nullement l’apanage des hommes. Vouloir abolir ce type d’agissements à l’échelle sociétale est non seulement parfaitement illusoire, mais s’apparente à une entreprise totalitaire de moralisation de la société.
La façon dont sont traitées dans les médias sociaux l’affaire Weinstein et ses prolongations témoigne nettement d’un glissement de la sphère du droit – juger ce qui est légal ou illégal en vertu de la loi – vers celle de la morale – juger ce qui est moral ou amoral en vertu du jugement populaire, si tant est que le jugement ici émis soit représentatif du peuple dans sa totalité. Que ce soit dans le domaine privé ou professionnel, signifier de manière ferme et sans complaisance son refus suffit généralement à suspendre les sollicitations masculines importunes, et si ce n’est malheureusement pas le cas, la loi est là pour le pallier. Si désormais la manière dont sont définis légalement les contours du harcèlement sexuel est jugée inappropriée, quels en seront donc les nouveaux tracés ?
Il se dessine clairement un système où tout abus de la confiance ou de la naïveté d’une femme, réelle ou feinte, toute insistance un peu appuyée et persévérante dans le but d’obtenir ses faveurs, pourrait être assimilée à du harcèlement. Dans un tel cadre, l’homme se verrait incomber la charge de la preuve de l’entière honnêteté de son dessein, autrement dit l’existence avérée et préalable d’un sentiment amoureux, condition sine qua non à toute relation physique avalisée par la société. Au motif louable de vouloir endiguer la reproduction de ces situations pénibles auxquelles sont fréquemment confrontées des femmes, on en arrive à une véritable dictature du comportement. Qui veut faire l’ange fait le diable.
Cinquante nuances d’hommes et de femmes
Outre un risque de dérive vers une forme moderne d’inquisition, cette chasse aux sorciers met à jour un autre aspect marquant de notre époque, celui du recours systématique à une grille manichéenne dès lors qu’on s’attelle à analyser le monde. La nuance n’est pas convoquée quand il s’agit de traiter de sujets de sexualité : l’homme est par essence coupable, la femme victime. Admettre que la vérité puisse se loger dans une zone grise et floue est sans doute une situation par trop inconfortable pour convenir aux nouvelles amazones, promptes à jeter l’anathème à cette simple évocation. Pourtant, s’il y a bien un domaine où le noir et le blanc se révèlent être une palette largement insuffisante, c’est à n’en pas douter celui des relations entre hommes et femmes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le bestseller d’E. L. James s’intitule Cinquante nuances de gris.
Que les hommes usent souvent de leur position de supériorité auprès des femmes (en termes de hiérarchie, de situation financière, de prestige, d’âge) est un fait incontestable, que cette position de supériorité puisse précisément leur conférer un atout décisif dans le jeu de la séduction en est un autre. Difficile d’affirmer que toute femme y est ou y perdure entièrement indifférente. Et si les hommes exercent une certaine forme de pouvoir sur les femmes, comment à l’inverse ignorer celui immense que ces dernières détiennent sur les hommes ? Ainsi il apparaît que les relations entre les deux sexes s’accommodent fort mal d’une vision bi-chromatique, bien trop simpliste et oublieuse de la complexe réalité.
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