Dans le dernier film de Leon de Aranoa, Javier Bardem éblouit dans le rôle d’un entrepreneur prêt à tout pour sauver sa boite. Critique.
Nouvelle métamorphose physiologique de Javier Bardem, sous les auspices de Fernando Leon de Aranoa (cf. « Escobar », sorti en 2017). Chenu et binoclard, la superstar transformiste y campe, cette fois, avec la prodigieuse virtuosité qu’on lui connaît, le patron à la fois roué, bienveillant, talentueux, manipulateur et parfaitement cynique d’une PME provinciale qui, implantée au cœur d’une zone industrielle ibérique, confectionne des balances depuis plusieurs générations. Héritier charmeur et doucement paternaliste, notre homme, à la veille de la visite d’une commission d’inspection dans laquelle l’image de l’entreprise est en jeu, se doit de mettre de l’ordre dans ses troupes, quitte à se montrer quelque peu intrusif avec la vie privée de ses salariés… La survie de la boîte avant tout…
Tonalité corrosive
La réussite de « El buen patron » tient au bon dosage des ingrédients : écriture ciselée, infiniment savoureuse des répliques ; vertu hautement comique de situations exploitées avec une minutie d’horloger ; parfaite direction des acteurs ; casting calibré au millimètre. Les comparses ? Un vieux larbin indéfiniment débiteur de son maître et seigneur ; un contremaître cocu et dépressif, sacrifié sans remord par son vieil ami et chef d’entreprise ; un ouvrier qui, en révolte contre son licenciement abusif, campe devant la grille de l’usine, mais que le PDG décidera de déloger par un moyen peu orthodoxe, provoquant au passage une tragédie ; une stagiaire canon débauchée par ce patron marié dont l’épouse comme-il-faut tient boutique en ville, … Etc., etc.
La tentation manichéenne – l’homme de pouvoir et d’argent, versus le brave populo et la femme-victime- du-mâle-dominant – est habilement esquivée par la tonalité corrosive et l’âpreté du propos. Les arrière-plans sociaux et leurs enjeux, loin d’être aimablement évacués, sont au contraire pointés du doigt, non sans cruauté, à l’enseigne du cynisme qui sera, in fine, le maître-mot de cette tragi-comédie très enlevée. Ainsi aurait-il été tentant, de la part du réalisateur, dans le souci de sacrifier à la doxa idéologique du temps, de faire de sa Liliana (Almudena Amor), la stagiaire model-girl/ fille-à-papa/ allumeuse qui se fait sauter dans une chambre d’hôtel par « el buen patron », un cas édifiant de victime-de-la-domination-capitaliste-machiste, légitimement vengeresse à l’estampille de « « me-too ».
Au lieu de quoi, Leon de Aranoa la croque sous un jour cru, telle qu’elle est : une sale et méchante junior carriériste, sans foi ni loi, usant de ses charmes puis du chantage pour se faire sa petite place au soleil de l’emploi. Balance-ton-patron !
« El buen patron ». Film de Fernando Leon de Aranoa. Avec Javier Bardem. Espagne, couleur. Durée : 2h. En salles le 22 juin.