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Bakchich : quand Fontenelle déraille


Au déclenchement de l’affaire de Filippis, quelques-uns de mes camarades internautes ou blogueurs se sont étonnés de l’absence totale de réaction à chaud de Bakchich, alors même que la grande presse commençait à en parler, et que tout le web sarkophobe était déjà vent debout contre la juge Josié. Un étonnement certes compréhensible puisque cette affaire mêlant politique, police, justice et liberté de la presse était a priori pile-poil au cœur de la zone de chalandise de Bakchich, site dont on apprend sur la page d’accueil qu’il est spécialisé en « Informations, enquêtes et mauvais esprit » et qui était jusque-là spécialisé dans la recension exhaustive des brutalités policières et bavures judiciaires. Néanmoins, pour ma part, je mettais plutôt ce mutisme sur le compte du week-end, qui, dans ma vision du monde, est essentiellement fait pour boire, écouter du rock n’ roll, aller troller les sites des copains ou compter fleurette à qui de droit. (En vérité, je pense que le reste de la semaine devrait être aussi consacré au même type d’activités, mais il semble que la plupart des humains en soient privés pour une obscure affaire de péché originel.) N’empêche, ce silence commençait à faire beaucoup de bruit dans la gauchosphère.

Heureusement, le site d’ »Informations, enquêtes et mauvais esprit » a fini par évoquer l’affaire, le lundi 1er décembre, sous la plume de l’un de ses contributeurs réguliers, mon excellent confrère Sébastien Fontenelle. Voilà qui aurait dû réjouir les bakchichonautes, tant les écrits circonstanciés de Sébastien Fontenelle contre la police, les flics, les forces de l’ordre, la maréchaussée ou encore les condés (et même les keufs !) font la joie des amateurs du genre, sans parler de tous ceux qu’enchante le seul phrasé inimitable de sa prose post-rimbaldienne.

Las ! Dans ce billet intitulé Vittorio de Filippis déraille ? Sébastien Fontenelle se contente de ricaner sur l’indignation provoquée par l’affaire. Le texte commençait ainsi : « Le big boss de Libération (poils (de barbiche) au menton), Laurent Joffrin, n’est pas content : un salarié de son quotidien burlesque, Vittorio de Filippis, a été quelque peu rudoyé par des keufs de la Seine-Saint-Denis. » Tout le reste du billet, poil au pied, était à l’avenant. Humour compris, poil au zizi.

Certains lecteurs de Bakchich ont trouvé que cet article signait un abandon de poste, voire un coup de couteau dans le dos. Certains parmi ces certains allaient encore plus loin dans leurs commentaires, imputant carrément la ligne de Bakchich au fait que Xavier Niel, de Free, (qui est à l’origine de la plainte en diffamation contre Libé qui a dégénéré en affaire de Filippis) est également actionnaire du site d’ »Informations, enquêtes et mauvais esprit ». Ce que pour ma part, j’ignorais complètement. Et qui d’ailleurs ne me dérange absolument pas. Je ne suis plus gauchiste et je pense qu’il est parfaitement normal d’aller chercher son capital chez les capitalistes.

Comme je ne vais pas non plus écouter aux portes, je n’ai pas la moindre idée quant à d’éventuelles pressions de Xavier Niel sur Bakchich, ou d’un renvoi d’ascenseur du site d’ »Informations, enquêtes et mauvais esprit » à son actionnaire. Bref tout ça ne me dérange pas, ou plutôt ne me dérangerait pas si ça avait existé. Car en l’état actuel des faits, je le redis, rien ne permet de supposer que la qualité d’actionnaire de Xavier Niel ait pesé sur l’attitude de Bakchich. Faute de disposer du moindre élément pour étayer le contraire, nous continuerons de penser que cette affaire ne leur paraissait pas intéressante, ce qui est leur droit le plus absolu. Je n’aimerais pas que ces gens viennent nous dicter nos choix éditoriaux, la réciproque vaut.

Il faut croire que les lecteurs de Bakchich sont parfois moins larges d’esprit que moi, puisque après quelques réactions insinuantes au billet de Fontenelle, Laurent Léger, le rédacteur en chef du site, a jugé utile d’intervenir officiellement dans la discussion. Voici l’intégralité de son texte : « Désolé cher lecteur, mais il n’y a pas de complot Niel+Bakchich contre Libération et son ex-PDG. Que Xavier Niel – qui est en effet actionnaire de Bakchich – porte plainte pour diffamation, c’est son droit. Chaque jour des plaintes pour diffamation sont déposées dans les tribunaux contre des journaux. Mais Xavier Niel n’a pas la maîtrise de la police et de la justice. C’est en l’occurrence la juge Muriel Josié qui a signé le mandat d’amener, et ce sont les policiers qui se sont permis les dérapages que l’on sait contre Vittorio de Filippis. » Dérapages que l’on sait, certes, cher Laurent, certes, mais pas grâce à Bakchich, qui n’en avait absolument rien dit. Fin de persiflage, je rends l’antenne à Laurent Léger qui, avant de conclure par les remerciements d’usage aux lecteurs, jugeait indispensable d’ajouter une ultime (et fatale) mise au point : « Et, si cela peut vous rassurer, Xavier Niel a encore moins la maîtrise de la plume de notre collaborateur-blogueur Sébastien Fontenelle ! »

Franchement Laurent Léger, là, vous exagérez : prendre la peine de nier une telle sujétion de votre « collaborateur-blogueur Sébastien Fontenelle » à un grand capitaliste, c’est suggérer qu’on aurait pu le penser, et ça, franchement, personne n’aurait osé. Tant qu’à faire, cher Laurent, pourquoi n’avoir pas pris la peine de préciser, pour plus de transparence, pour que chacun soit sûr de sa totale indépendance dans cette affaire, que Sébastien Fontenelle ne joue pas au foot le dimanche avec les flics du Raincy, qu’il n’est pas le partenaire de bridge habituel de la juge Muriel Josié ou encore qu’il n’est pas le papa du futur bébé de Rachida Dati ?

Bref, m’est avis, cher rédacteur en chef de Bakchich, que votre vibrante plaidoirie qui a un vague parfum de ce qu’on appelle déni – a mis votre collaborateur-blogueur dans une merde plus noire que celle où il s’était vautré tout seul comme un grand en moquant un citoyen victime de violence judiciaire. Déjà que ça ne doit pas être bien agréable pour lui que Laurent Léger révèle à tous ses camarades altermondialistes que lui, l’intrépide despérado du Grand soir, il collabore à un site financé par une des figures emblématiques de la Bourse de Paris.

M’est avis qu’on ne reverra pas de sitôt l’ami Fontenelle dauber sur Vittorio de Filippis dans vos colonnes.

Pour tout dire, je crois qu’à l’heure qu’il est, l’irréductible anticapitaliste Sébastien Fontenelle a l’air un peu con. Désolé pour les amateurs « d’informations et d’enquêtes », ce n’est pas vraiment un scoop. Juste une litote.



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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