Des films sans baisers ? Voilà qui pourrait être fort ennuyeux. Déjà que le cinéma français n’est pas toujours épatant…
Tomber nez-à-nez, au coin d’une rue, sur un tournage de film ne sera pas encore possible tant que le virus continuera à circuler et même en phase 2 du déconfinement. Le comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) du secteur audiovisuel et du cinéma, vient de publier un guide d’une cinquantaine de pages pour aider la profession à reprendre les tournages suspendus depuis le début du confinement. On y apprend donc que les tournages en extérieur se feront désormais à l’abri des regards mais aussi qu’il faudra organiser la distanciation physique entre les équipes techniques, de production et les acteurs, figurants, cascadeurs, doublures, maquilleurs. Un vrai casse-tête qui risque de faire perdre encore plus son âme au cinéma !
Et mes lèvres, tu les aimes mes lèvres ?
Le plateau de tournage, animé en temps normal par une valse continue de va-et-vient, a de fortes chances de se transformer en plateau de quadrillage, de marquage, de blocage. Il y est question d’affecter comme dans toutes les entreprises un « référent Covid » en charge de coordonner les mesures sanitaires préventives. Ce dernier sera soit une personne qualifiée venant de l’extérieur, soit quelqu’un faisant partie de l’équipe de tournage, si cette dernière est réduite et dispose de peu de moyens.
Scénarisons alors brièvement quel pourrait bien être un plateau de tournage dans le 7e art du monde d’après…
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Pendant que l’assistant réalisateur endosserait le rôle de gendarme de plateau contrôlant la circulation des cadreurs et preneurs de son et sifflant à la moindre infraction du mètre de sécurité, l’une des maquilleuses s’approcherait, masquée, gantée et armée d’une perche pour remettre un coup de blush, de laque et refaire les yeux charbonneux de l’actrice phare du film.
Assise sur un banc en plastique dans un décor kitch à la Ozon, cette dernière poserait alors ses yeux de starlette sur la palette de rafistolage, tendue à distance par la maquilleuse, grimaçante de douleur à cause de sa tendinite au bras, et constaterait avec amertume l’absence de rouges à lèvres, artifice devenu introuvable, les ventes s’étant effondrées depuis le port obligatoire du masque.
Avec dépit, elle se tournerait alors vers le réalisateur pour lui demander le degré d’intensité qu’elle devrait mettre dans son regard, seul attrait sur lequel désormais miser, ses lèvres rendues invisibles par le masque couleur chaire. Un tel scénario ne vaut pas une palme mais est digne de cauchemar en plateau !
Les cascades de Belmondo et les baisers à l’heure des gestes barrières
Mais revenons au guide. Car une autre préconisation est également ubuesque. Il est en effet indiqué de rendre compatible les scènes de foule, de bagarre, d’intimité avec les gestes barrières. Heureusement que Belmondo ne tourne plus ! Il aurait mis une sacrée pagaille dans pareil dispositif. Comment exercera-t-on son jeu d’acteur dans de telles conditions ? Que signifie une mise en scène sans l’expression des émotions lisibles dans le rapprochement et l’éloignement des corps, sans ces corps qui luttent ou qui se culbutent ?
Au cinéma, un regard, un geste, un baiser suffisent pour dire beaucoup de choses, là où le théâtre peut se contenter de mots en vers ou en prose. C’est bien là, la grande différence entre ces deux arts. Sur les planches, les émotions passent par la voix alors que sur la toile, c’est beaucoup par le corps qu’elles peuvent s’exprimer. Espérons d’ailleurs que les acteurs de théâtre ne devront pas jouer masqués.
Enfin, la recommandation la plus croustillante de ce protocole de déconfinement est celle qui concerne les baisers ! On apprend que « le tournage de baisers se fera désormais sur base de volontariat ». Autant vous dire que parmi les gens qui vont se faire dépister, ce sont les acteurs et les actrices de cinéma qui vont être les plus nombreux. La réputation du french kiss est en jeu !
Le cinéma français était déjà de plus en plus pudibond
Vous aurez peut-être compris que ces mesures préventives qui touchent le monde du 7e art me laissent un peu perplexe. Doit-on redouter l’émergence de films sans baiser de cinéma ? Le cinéma sera-t-il alors toujours le cinéma ? La réponse est évidemment non.
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Que serait Autant en emporte le vent sans le baiser fougueux de Clark Gable et de Vivien Leigh ? Que serait Sur la route de Madison sans le slow de Clint et Meryl Streep au cours duquel, dans une chaleur enveloppante, la force du désir l’emporte sur la morale du devoir conjugal ? Et dans un genre plus sirupeux, Titanic aurait-il eu le succès qu’on lui connaît sans l’enlacement de Léo et de Kate Winslet sur la proue de l’Insubmersible, qui a fait rêver tant de midinettes? Quant au cinéma français, qu’aurait été la scène mythique de Quai des Brumes sans la fameuse réplique « tu as de beaux yeux tu sais ? » de Gabin qui engendre un célèbre baiser échangé entre lui et Michèle Morgan, dans un enlacement intense qui fait d’ailleurs déjà cruellement défaut à bien des films français actuels ?
Et au delà des baisers, quid de toutes les scènes érotiques où les corps des acteurs se dénudent, se touchent ou simulent l’acte ultime ? Le coronavirus va t-il précipiter notre cinéma dans une pudeur chaste ? Ira t-on jusqu’à appliquer un révisionnisme hygiéniste en photoshopant toutes les affiches de baisers cultes du 7ème art, comme on l’a fait pour la pipe de Jacques Tati ? Lorsqu’on regardera de nouveau Le mépris, entendra t-on BB dire « Et mon masque, tu l’aimes mon masque ? » Seul l’avenir nous le dira. Et pour l’instant continuons à chanter : « I just want your extra time and your kiss » !
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