1. Une jeune Russe à Hollywood
C’est une jeune fille telle que je les aime. Née en 1905 à Saint-Pétersbourg, Lisa Rosenbaum connaît une enfance dorée dans l’appartement de sa famille, qui donne sur la perspective Nevski. Elle a pour amie Olga Nabokov, la sœur d’un certain Vladimir. Elle lit beaucoup et tient son journal intime. Le jour de son treizième anniversaire, elle écrit : « Aujourd’hui, j’ai décidé d’être athée. » Elle le restera jusqu’à sa mort, en 1982. Une autre décision s’impose à 16 ans : ne pas avoir d’enfant. Elle n’y dérogera pas. Enfin et surtout, après la Révolution d’Octobre, dont elle perçoit d’emblée l’imposture et la cruauté, elle choisit, quel que soit le prix à payer, de s’exiler aux États-Unis, ne serait-ce que pour assouvir sa passion du cinéma et ne pas être asphyxiée par un collectivisme qui l’horripile.[access capability= »lire_inedits »]
La religion, « ce poison de l’humanité », ne trouve pas non plus grâce aux yeux de cette jeune rebelle qui, dès qu’elle foule le sol américain, change de nom pour que sa judéité ne lui colle pas à la peau. Dorénavant, elle s’appellera Ayn Rand. Elle a 21 ans, 50 dollars en poche et la version anglaise de Ainsi parlait Zarathoustra comme viatique. Cécil B. de Mille lui mettra le pied à l’étrier. Débute alors une carrière de scénariste, de romancière et de philosophe qui, sans qu’elle ait renoncé à ses idéaux d’adolescente, lui vaudra d’être l’auteur le plus lu aux États-Unis après la Bible et le plus exécré en France où sa passion de l’égoïsme, son anti-communisme radical et sa déposition sans complexe devant la commission maccarthyste chargée de démasquer les complices de l’infiltration pro-soviétique à Hollywood susciteront l’indignation.
Il faut avoir vécu ce qu’elle et sa famille ont subi à Leningrad pour comprendre sa haine inexpiable pour toute forme de socialisme. Elle compterait aujourd’hui parmi les anti-Obama les plus farouches et serait ravie d’être citée par Paul Ryan. S’il fallait résumer la pensée d’Ayn Rand, je choisirais ces quelques lignes de son autobiographie, We the living : « Personne ne peut dire à un homme pourquoi il doit vivre. Personne ne peut s’arroger ce droit parce qu’il y a en l’homme des choses qui sont au-dessus de tous les États, de toutes les collectivités. Quelles choses ? Son esprit et ses valeurs. Tout homme digne de ce nom ne vit que pour lui-même. Nous n’y pouvons rien parce que l’homme est né ainsi, seul, entier, une fin en soi. Aucune loi, aucun parti ne pourra jamais tuer cette chose en l’homme qui sait dire : « Je » . »
Cette libertarienne est étonnamment proche de deux de ses contemporaines : Louise Brooks et Dorothy Parker, ainsi que de son ami l’architecte Frank Lloyd Wright. Elle participera d’ailleurs au tournage du film de King Vidor : Le Rebelle (1949) avec Gary Cooper et Patricia O’Neal, tiré de son livre The Fountainhead qui s’inspire du destin de Frank Lloyd Wright. Elle sera ulcérée que son plaidoyer pour l’individualisme soit amputé de sa phrase la plus célèbre : « Je ne suis pas un homme qui vit pour les autres », ainsi que d’une scène de viol qui reflétait sa conception de la sexualité, où le sado-masochisme tenait le premier rôle. Elle méprisait autant le puritanisme religieux que la politique sociale consistant à prendre à Pierre pour donner à Jacques par l’intermédiaire de l’État. Le plus surprenant, c’est qu’une jeune Russe athée, libertine et anarchiste, ait exercé et exerce encore une telle influence aux États-Unis. Ronald Reagan la qualifiait de « Jeanne d’Arc du capitalisme » et même Hillary Clinton avouait avoir eu « sa période Ayn Rand ». Mais, comme le note son biographe Alain Laurent, dans son essai : Ayn Rand ou la passion de l’égoïsme rationnel (éd. Les Belles Lettres), l’intellectuel français, qu’il soit de droite ou de gauche, tient trop à l’État social pour que la pensée d’Ayn Rand puisse le séduire. Aussi n’ai-je guère été surpris que Le Monde lance une double offensive contre l’économiste Hayek et contre Ayn Rand, censés tous les deux célébrer un capitalisme anarchique et débridé qui magnifie l’inégalité et demeure indifférent à la souffrance des déshérités. Avec de tels arguments, comment ne pas haïr Ayn Rand ? Et tant qu’à faire, Nietzsche ou Stirner, qui l’inspirèrent ?
2. Les avantages d’une maîtresse plus âgée
Ayn Rand qui, même à un âge avancé, ne dédaignait pas les jeunes gens, a certainement lu la lettre de Benjamin Franklin, un des pères de la Constitution américaine, certes, mais aussi un des esprits les plus facétieux des États-Unis, sur l’art de choisir sa maîtresse. Lui qui avait inventé le paratonnerre et savait donc à quoi s’en tenir en matière de psychologie féminine, conseillait à ses amis de préférer les femmes mûres aux plus jeunes, même si, a priori, cela pouvait sembler incongru. Il avançait plusieurs arguments, dont cinq au moins tiennent encore la route aujourd’hui. Les voici :
1. Parce que les femmes, quand elles cessent d’être belles, s’efforcent de devenir bonnes.
2. Parce que, grâce à leur grande expérience, elles sont plus discrètes dans la conduite d’une intrigue afin de prévenir les soupçons.
3. Parce qu’il n’y a pas le risque d’enfants.
4. Parce ce que le remords est moindre. Avoir rendu une jeune fille malheureuse peut vous faire ressasser de sombres pensées. Rien de tout cela pour avoir rendu une femme mûre heureuse.
5. Elles sont si reconnaissantes !
Benjamin Franklin, qui avait été journaliste, savait qu’il n’y a pas une grande différence entre le commérage et le journalisme. Loin de s’en agacer, il s’en réjouissait. Pourquoi ? Parce que, à l’opposé des belles âmes qui pensent qu’il ne faut pas diffamer son prochain, il estimait qu’une seule journée passée sans discréditer nos semblables était une journée perdue. Et cela pour la simple et bonne raison que ce que l’on peut dire de pire sur nous n’est jamais que la moitié de ce que nous mériterions d’entendre si nos écarts étaient connus.
3. « Feeling Minnesota »
Hélas, tout le monde aux États-Unis n’a pas l’esprit incisif d’un Benjamin Franklin, ni la fougue libertaire d’Ayn Rand. On se morfond souvent dans des petites villes comme Mercury, située, comme nul n’est censé l’ignorer, dans le Minnesota. C’est là, précisément, que la plus inquiétante des séductrices, Charlize Theron, se rend pour reconquérir un ex et revivre son adolescence. Un plan pourri d’avance, mais jouissif dans le film Young Adult, de Jason Reitman, mais oui, le fils d’Ivan, et l’auteur de Juno. On découvrira en voyant ce film en DVD ce que signifie au quotidien l’expression « feeling Minnesota » ( avoir le moral dans les talons ) et la nécessité absolue de rompre avec son passé, comme Ayn Rand. Ou, dans le film, la sublime Charlize Theron qui reprend la route à la conquête d’un pays de rêves et de bleds pourris : les USA.[/access]
*Photo : Charlize Theron dans Young Adult.
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