Le bac russe, c’était mieux avant?


Le bac russe, c’était mieux avant?

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Chaque année, c’est la même rengaine. L’angoisse des bacheliers devient le sujet numéro un des conversations privées et publiques. Parents, familles, amis, politiques et journalistes y vont tous de leurs petits commentaires. Cette fois-ci, la SNCF complique encore un peu plus la vie des étudiants de terminale, et la nôtre en bonus, avec la grève des cheminots. On n’ose imaginer le tintamarre si, en plus, la session de rattrapage au bac n’existait pas.

C’était le cas en Russie jusqu’à un récent décret qui offre aux lycéens russes une seconde chance au bac national, nommé EGUE. Le but annoncé ? « Soulager les étudiants de la charge psychologique » que représente le stress d’un examen de fin de cycle qu’on ne peut passer qu’une fois, explique le ministre de l’éducation et des sciences, Andrei Fursenko. Une mesure d’intérêt général, en fait, que nous ne pouvons qu’approuver.

« Cette disposition n’est qu’un paravent, affirme Tatiana Kastouéva-Jean, responsable du Centre Russie-NEI de l’Institut Français des Relations Internationales,  qui cache un problème plus profond et plus sérieux: le choix d’un modèle éducatif pour la Russie ».

Apparemment, le modèle occidental ne convainc plus.

Avec le nouveau millénaire, le Kremlin avait souhaité moderniser ce secteur. L’esprit était alors à la coopération internationale.  Poutine choisit, à l’époque, de s’aligner sur le modèle éducatif de l’Ouest. L’ EGUE -examen unique et fédéral de fin d’études secondaires- a été créé en s’inspirant de notre baccalauréat, favorisant ainsi les équivalences. Son application uniforme sur tout le territoire et ses critères préétablis de correction devaient permettre de lutter contre la subjectivité des oraux, la corruption des jurys et les inégalités régionales.

Fini l’examen terminal de lycée où chaque école préparait ses épreuves, où la majorité des contrôles étaient continus, où les tests de fin d’année se passaient à l’oral, avec les professeurs de l’établissement, où les examens s’égrainaient sur plusieurs semaines pour favoriser une meilleure concentration.

Pourtant, en une dizaine d’années, depuis sa création, l’EGUE au style européen a eu le temps de décevoir. Tatiana Kastouéva-Jean explique le phénomène : « La société comme la communauté universitaire critiquent cet examen qui n’évalue pas les « vraies » connaissances ». Les QCM de style anglo-saxon  remplacent l’ancienne dissertation. Cela crée la confusion chez l’élève habitué à la réflexion approfondie et à la synthèse. Derrière ces accusations, c’est toute la logique de la formation à l’occidentale qui est visée. « Une seule chose compte aujourd’hui : la préparation aux tests, au détriment de la qualité de l’apprentissage. »

Pour d’autres, l’EGUE est un triste révélateur de la qualité de l’enseignement russe. Ainsi, d’après la Revue Internationale d’Education de Sèvres, les notes au test, très basses dans certaines régions, ont dû être remontées pour éviter des remous sociaux : 30 à 40 % des étudiants « n’avaient pas le niveau » requis par les nouveaux « standards ». Si l’instrument renvoie une mauvaise image, changez l’instrument.

L’EGUE n’a pas non plus permis de résorber la corruption. Avant l’examen, des classes privées s’organisent. Et souvent,  les enseignants de ces écoles intensives sont les futurs membres du jury …

La Russie, qui souhaite incarner un modèle alternatif au modèle occidental, ne peut ignorer ces jugements sévères. Du coup, aux oubliettes « l’esprit concours » venu de l’Ouest et on récupère les méthodes de l’époque, qui ont fait leurs preuves.

La marche arrière du gouvernement a déjà commencé avec le retour de l’examen oral, et la réforme va continuer. Car, c’est bien connu, c’est dans les vieux chaudrons qu’on forme les meilleurs élèves. Mais, faut-il le rappeler ? Sans sucre, la confiture ne prend pas.

Or, depuis la chute de l’URSS, les coupes budgétaires [1. Les dépenses publiques ont chuté de plus de 36 % entre 1991 et 1996  d’après le rapport du Sénat « La Russie contemporaine entre conservatisme et ouverture » publié le 22 mai 2014], les restrictions drastiques au profit du secteur militaire ces dernières années [2. La part des dépenses d’éducation, en atteignant 5,1% en 2011, est réduite significativement en 2014, jusqu’à 3,4% de toutes les dépenses du budget fédéral, tandis qu’en trois ans, les dépenses militaires auront augmenté de 13,9% à 18,8%, et de 11,3% à 14,2% pour la sécurité nationale et le maintien de l’ordre.Ria Novosti], les moyens et les salaires minables des enseignants ont plombé le niveau de l’éducation russe.

Le rétropédalage de Moscou dans le domaine de l’éducation s’inscrit dans un mouvement plus général. Celui du redressement d’un système face à un autre. D’un rideau de fer dans une toile de velours.

*Photo: LCHAM/SIPA.00686050_000013



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est journaliste à Causeur

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