Jeunes gens qui, ce matin, passez le bac philo, oubliez tout, mais sachez une seule chose : vous allez souffrir. Peut-être avez-vous eu la chance de vous asseoir cette année devant un professeur dont l’élocution, le caractère ou l’odeur vous auront convaincus de garder à jamais vos distances avec la philosophie. Peut-être pas. En ce cas, l’épreuve de ce matin sera le coup de grâce. La plupart de mes confrères gardant un œil jaloux sur leur discipline, qu’ils qualifiaient jusqu’à peu de reine des sciences, ils s’évertuent à en dégoûter quiconque commencerait à y porter le moindre intérêt. Et, pour tout dire, leur stratagème ne réussit pas mal.
Mais comme le disait Diogène de Sinope : à Causeur, on n’est pas chien. Donc, voilà en exclusivité les corrigés des sujets du bac 2009 – toutes séries confondues.
La perception peut-elle s’éduquer ?
Les profs de philo se croient tout permis. Il faudrait leur rappeler qu’eux aussi sont fonctionnaires et que leurs collègues travaillant dans des perceptions sont aussi bien éduqués qu’eux.
Peut-on parler pour ne rien dire ?
Oui.
Que gagnons-nous à travailler ?
Du pognon, et puis c’est tout. Si vous estimez que cette réponse est insuffisante, n’hésitez pas à citer le spécialiste incontestable de la question, Henri Salvador. Il écrivait dans un fragment tardif de sa Gesammelte Werke : « Le travail, c’est la santé. Rien faire c’est la préserver. » Si vous parvenez à restituer la citation en allemand, vous êtes sûr d’empocher la mention. Votre correcteur sera tout aussi agréablement surpris, si vous lui balancez une phrase de Rousseau : « L’homme est naturellement paresseux. » Rajoutez que Marcel Jouhandeau (qui aimait la philosophie et l’Allemagne) était bien de cet avis, lui aussi. Concluez par un rapide : « J’ai vu Home et tout irait mieux dans le monde si on était des bio-feignasses. »
Y a-t-il une vérité en histoire ?
Oui. C’est la raison pour laquelle l’homme africain, qui n’est pas encore assez entré dans l’histoire, se tient assez éloigné de la vérité. « T’as vu l’heure ? Et l’homme africain qui n’est toujours pas rentré !… » (Henri Guaino)
Y a-t-il d’autres moyens que la démonstration pour établir une vérité ?
Oui. Il y a le marteau (Nietzsche). Et la matraque.
Peut-on désirer sans souffrir ?
Bien sûr que oui. Du moment qu’on a du pognon. Et si d’ailleurs, à cinquante ans, on est un prof de philo qui s’échine à corriger des copies de bac sans avoir toutefois les moyens de se payer une Rolex, c’est qu’on a raté sa vie. Si ton papa possède une bijouterie et qu’il revend de l’horlogerie de qualité, n’omets pas de noter son numéro de portable en bas de la copie. Merci pour eux.
Pourquoi voulons-nous être libres ?
Optez pour un plan thèse-antithèse-synthèse. Les deux premières parties reprendront, bien entendu, la distinction que Benjamin Constant établit entre le concept de liberté chez les Anciens et chez les Modernes. Puis, imaginez un instant (mais un instant seulement) que vous êtes membre du bureau politique du Parti socialiste, prenez votre plus belle plume et rédigez-nous une belle synthèse démontrant que le Vélib abolit la question de la liberté – à condition qu’il y en ait un de libre stationné près de chez vous.
« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » Héraclite.
C’est très juste. Surtout pas après déjeuner.
Doit-on apprendre à devenir un homme ?
« Y a intérêt. » (Amanda Lear)
« Ce qu’on ne peut pas dire, il faut le taire. » Ludwig Wittgenstein.
Ne pas hésiter à remettre en cause l’énoncé. Il faut vraiment avoir fumé la moquette pour croire que Wittgenstein ait écrit ça en 1921 dans le Tractatus logico-philosophique. Tout le monde le sait : c’est Martine Aubry qui a prononcé cette glorieuse sentence il y a trois jours. C’était assez bien tourné. Et si les socialistes veulent se taire à Versailles, on ne peut pas leur reprocher. Au passage, votre copie gagnera quelques points supplémentaires si vous étalez votre culture. Quand vous citez saint Thomas, n’hésitez pas à parler de l’Aquinate. Pour Kant, un nietzschéen « petit sergent de Königsberg » suffira. Pour la Première secrétaire du Parti socialiste, un « Titine » fera l’affaire. Surtout si votre correcteur s’appelle Vincent Peillon.
Est-il plus facile de connaître autrui que de se connaître soi-même ?
« Wesh, t’es qui, connasse, pour me poser une question ? » (Diam’s)
La question « qui suis-je ? » admet-elle une réponse exacte ?
Oui. Surtout si la question vous est gentiment formulée par un représentant des forces de l’ordre. « T’es qui, toi, t’es qui, hein ? » Ne répondez pas, mais sortez-lui vos papiers. Pour le reste, les questions d’identité nationale et autres conneries semblables, il y a des ministères. Pour l’identité sexuelle, drame aussi lancinant pour un adolescent post-pubère que ses boutons d’acné et l’apparition de poils dans la région pubienne, parlez chirurgie. Vous avez la télé ? Vous avez vu Nick/Tup ?
Cela a-t-il un sens de vouloir échapper au temps ?
Non. On peut essayer, mais, comme l’ont démontré Jeanne Moreau, Catherine Deneuve et Lisa Minelli, c’est pire qu’avant. Optons pour la solution Annie Girardot : cuite et amnésie.
Que vaut l’opposition du travail manuel et du travail intellectuel ?
Ça dépend des conventions collectives.
Les apparences sont-elles trompeuses ?
Pas forcément. Mais les éléphants énormément.
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