La cuvée 2024 du bac est aussi navrante que les précédentes. Et les copies des épreuves de français confirment une situation alarmante: les jeunes Français ne maîtrisent pas notre langue. Une ignorance couverte par le ministère de l’Éducation qui pipeaute les moyennes générales. Attention: les exemples qui suivent piquent les yeux!
Toutes les fins de printemps se ressemblent pour les profs : les copies de bac arrivent en même temps que les coquelicots dans les prés… en moins joli. Le cru 2024 n’est pas décevant, et seuls des extraits prélevés sur le lot peuvent convaincre les plus sceptiques du niveau qu’on a atteint. Ce n’est pas la première fois que j’exerce cette pénible recension, mais la répétition a des vertus pédagogiques. (Précisons qu’il s’agit d’élèves de série générale – le haut du panier.)
Conjugaison, grammaire et vocabulaire approximatifs, mais correction bienveillante
Petite cueillette orthographique donc, au hasard des copies : les mots les plus courants ne sont pas maîtrisés, comme « journé », « tonalitée », « dimention », « adolessant », « délesser », « transparêtre », « la plus parts », « l’orsque »… Rimbaud, dont le nom figure en toutes lettres sur le sujet, a aussi passé un sale quart d’heure : « Rimbeau », « Rimbeaud », « Rimbau »… Ce pauvre Arthur, d’ailleurs, « s émancipie » (en tout cas lui, au même âge que nos futurs bacheliers, connaissait la langue française).
L’orthographe grammaticale n’est pas davantage assimilée : « ces sentiments ce sont dévelloper », « ces ordres sont très contestaient », « leur amour est séparer par une barrière qui l’est empêche d’être enssemble ». On est presque surpris quand on a la chance de tomber sur une phrase écrite correctement.
La conjugaison ? « Ophélie se noye » et « nous essayrons » témoignent du naufrage. La syntaxe, pas mieux : « Claire de Duras laisse au lecteur la capacité à celui-ci de réfléchir », « on sent un amour dont il meurt d’envie de partagé avec elle », « c’est un moment de remise en question, sur si elle peut faire partie de son cœur », « Edouard à su nous fair rentré dans son histoire d’amour ainsi que de nous questionner à comment à-t-il réussi à prouver son amour ».
Presque toutes les copies présentent des défaillances linguistiques majeures et, bien évidemment, les inspecteurs chargés des consignes de correction prennent soin de rappeler que seul doit être pénalisé l’usage d’une langue nuisible à la compréhension. Or, tout ce que je viens de citer est compréhensible (si si, je vous assure, avec un peu d’entraînement). D’ailleurs, pour toujours plus de « bienveillance » (je reprends la novlangue officielle, la bienveillance étant devenue la version présentable de la démission), une nouveauté est apparue cette année : une icône signale les copies d’élèves disposant d’aménagements (tiers-temps, assistance humaine, usage d’un ordinateur…) en raison de tel ou tel handicap dûment reconnu par l’institution. Là où certains professeurs se réjouissent, je ne vois que rupture d’égalité : le profil du candidat doit nous rester inconnu et n’orienter en rien notre jugement. Ce qui compte, c’est la qualité intrinsèque du travail, et non celui qui l’a produit. Tout est fait, dans la scolarité comme à l’examen, pour assigner l’élève à un statut de victime : clairement, ce n’est pas lui qui doit se hisser à un niveau d’exigence (à supposer qu’il existe encore), c’est la notation qui doit prendre en compte son profil et s’y adapter.
Ai-je évoqué les lacunes lexicales (« vagabondeur », « codes sociétaires », « vulgarisme »), les erreurs grammaticales (« l’adjectif “loin” », « l’adverbe “moment” »), ou encore l’inculture crasse que révèle la mention de Napoléon II et de la Naissance de Vénus de Bonnifacci – sans doute un boulanger corse ?
Que dire aussi de ces passages lunaires : « Claire de Duras est un romancier du Moyen Age au xixe siècle », « le registre lyrique bat son plein grêt », « le silence exprime l’ouïe », « la duchesse réfléchit, ce qui est un privilège que seule la noblesse détient », « la métaphore “ciel d’azur” désigne un ciel assombri », « le lieu forme l’intérieur du cadre par l’isotopie du château » (je ne me laisse pas impressionner par un mot savant, qu’on se le dise !). Justement, en ce qui concerne le cadre évoqué par Claire de Duras dans son texte, il s’agit d’un château dans une campagne française, jugée « exotique » par certains, quand d’autres y voient des « éléments naturels importants pour l’écosystème ».
Du côté de la dissertation, on trouve de semblables incongruités : « nous pourrions nous demander si le receuil des Fleurs du mal de Baudelaire aussi est-il allé plus loin », « les français sont en pleine guerre contre la Prusse qui sont bien plus supèrieur », « le jeune poète découvre un renouveau d’émotions à tout va dont-il laisse un intérêt léger avec l’amour d’un été ». On invente « des césures à l’hémistiche au début des vers », « un poème écrit en prose mais avec des vers » (M. Jourdain, sors de ce corps !).
Toute la subtilité dialectique se trouve condensée dans cette annonce de plan : « Nous traiterons cela dans une première partie où oui Rimbaud ira loin ensuit non Rimbaud n’ira pas loin et enfin une conclusion. »
7.5 sur 20
J’ai souffert… mais j’ai aussi bien ri. « Rimbaud arretra la poésie et se tournera vers le trafic d’arme ». Après un entretien chez le conseiller d’orientation ? Son œuvre sera publiée après sa mort, « post-parthum ». Et n’oublions pas qu’il fut surnommé « l’homme aux semelles devant » ; Verlaine a dû se marrer dans sa tombe.
Mon lot de copies a obtenu 7,5 de moyenne. L’inspection a fixé un objectif de 10, afin de s’aligner sur les résultats de la session 2023 (je n’admets toujours pas cette logique soviétique, qui consiste à évaluer sans tenir compte de la qualité réelle des copies…). L’examen perd son sens, sa valeur et son crédit. L’élève est méprisé parce qu’on le trompe. Le professeur est humilié parce qu’on s’assoit sur son expertise. Et celui qui ne souscrit pas à cette gigantesque escroquerie est sommé de rentrer dans le rang.
On s’est émerveillé de l’âge de la plus jeune candidate au bac cette année. Je ne préjuge pas des qualités de cette petite fille, mais comment s’étonner qu’on puisse s’y présenter à neuf ans quand on mesure l’effondrement du niveau ? Les copies parlent d’elles-mêmes, et d’ici peu ce devrait être jouable pour un enfant de cinq ans.