La France est un pays de vieux
Depuis la fin du « baby-boom », nous assistons en Europe et au Japon à une transformation démographique probablement inédite. Les chiffres ont une vertu (Michèle Tribalat et Christophe Guilluy pourraient le confirmer dans leurs domaines respectifs) : ils ne mentent pas. Alors que depuis toujours la pyramide des âges présentait une large base se rétrécissant plus ou moins vite au fil des épidémies et des guerres pour aboutir à un mince sommet de vieillards, nous avons désormais un profil en voie d’inversion où une étroite assise de jeunes et d’adultes devra supporter une vaste couche de personnes âgées, voire très âgées…
Bien. C’est regrettable pour le corps enseignant, les crèches et les fabricants de crèmes antiacnéiques, certes ; mais qu’importe, au fond ? La maturité est un gage de sagesse et d’expérience, et les retraités sont pour le système des consommateurs bien plus solvables que nos chères têtes blondes (que Rokhaya Diallo me pardonne cette expression surannée). Nous pourrions donc presque envisager avec sérénité cet avenir tranquille donnant à la France une allure paisible de résidence senior.
Ok Boomer…
Sauf que… Cette majorité vieillissante, née dans les années heureuses de l’extraordinaire expansion d’après-guerre, conserve le pouvoir décisionnaire que le système démocratique confère automatiquement à ses gros bataillons d’électeurs – par ailleurs bien plus motivés par le vote que les citoyens plus jeunes qui savent d’emblée qu’en face d’eux ils ne feront pas le poids. Les boomers, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, trustent encore – et pour longtemps – l’essentiel des leviers de pouvoir du pays. Et quand bien même ils cèdent la place, comme c’est le cas actuellement à la présidence, ils gardent par leur poids électoral une influence déterminante sur les choix politiques du pays. Et il se trouve que l’usage qu’ils font de cette domination politique et culturelle mérite d’être dénoncé pour son égoïsme.
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Intéressons-nous par exemple au problème des retraites. Notre système fonctionnant par répartition, de moins en moins d’actifs cotisent pour un nombre sans cesse plus grand de retraités. Or à quelques détails près (CSG), nous constatons que les réformes mises en œuvre depuis une vingtaine d’années ont systématiquement protégé ces derniers en sanctuarisant leurs pensions au prix d’un allongement progressif des durées de cotisation des actifs pour le régime général et d’une dette colossale pour les régimes spéciaux. En clair : « tu paieras cher et longtemps, mon fils, mais ne compte pas sur moi pour rogner ma retraite » …
Droit inaliénable aux loisirs
Et dans le contexte actuel de la pandémie Covid-19, l’égoïsme n’est pas moindre. Nous assistons depuis le début de l’été à une montée inévitable du nombre de contaminations, les jeunes hyper-confinés du printemps (lycéens, étudiants, etc.) ayant enfin repris leur vie sociale. Mais les chiffres encore une fois nous montrent que le total de personnes hospitalisées ne cesse de décroître, et que le nombre de patients en réanimation est stable à un niveau très bas comparé au printemps dernier. Rien de bien étonnant à cela : nous savons que le SARS-Cov2 ne donne chez les plus jeunes que des atteintes peu ou pas symptomatiques en général. On pourrait donc très raisonnablement appréhender cette reprise épidémique dans le calme, en se contentant par précaution de conseiller aux personnes les plus fragiles ou les plus âgées un surcroît de prudence voire une restriction de certaines de leurs activités en vue de leur propre protection. Mais de cela à nouveau il ne saurait être question : nos seniors tout-puissants ne peuvent tolérer que l’on remette ainsi en cause leur droit inaliénable aux loisirs, aux voyages et aux plaisirs de la vie. Il faut donc, pour les protéger, imposer à la population jeune des contraintes multiples (port du masque en plein-air, fermeture des boîtes de nuit, interdictions nocturnes d’accès aux plages, etc.) qui ne sont absolument pas justifiées d’un point de vue médical en ce qui la concerne. En clair : « tu porteras le masque jour et nuit, mon fils, mais ne t’avise pas de me demander de renoncer à La Baule en août » …
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Ironie du sort : seuls les grands vieillards des EHPAD – la courageuse génération d’avant-guerre qui reconstruisit le pays avant d’enfanter les boomers – se sont vus, eux, sévèrement restreints dans leurs prérogatives du fait de la pandémie. Ils avaient déjà eu largement le temps de perdre toutes leurs illusions sur leur progéniture, me direz-vous…
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