C’est mon deuxième article sur Caroline Fourest en moins d’une semaine. Ce n’est cependant pas par gourmandise. Il se trouve qu’elle fait paraître un livre ces jours-ci et qu’elle est de ceux que l’on voit partout en de telles occasions. Et une fois de plus, l’opportunité nous est offerte d’expérimenter les porte-à-faux de la gauche, les impensés de sa générosité fanatique.
Samedi 2 mai, Caroline Fourest était l’invitée de Laurent Ruquier. Face à elle, Aymeric Caron campait le méchant de service, comme à son habitude. Il paraissait assez remonté contre l’invitée qui, en retour, n’a pas mâché ses mots. D’après Caroline Fourest, Aymeric Caron fait partie d’une gauche « idiote et aveugle », il fait de surcroît « les poubelles d’Internet ». Et la même d’asséner après coup : « il faut le dire quand un petit con est un petit con ». À la dernière phrase près (être chatouilleux quant à sa propre légitimité, est-ce une forme de connerie ?), on a presque envie de lui répondre que c’est l’hôpital qui se moque de la charité. Lorsque l’on passe son temps à « twitter » pour dénoncer les pensées brunâtres que l’on prête aux uns, les bondieuseries dont se rendent coupables les autres, on ne vient pas reprocher à certains d’en faire autant. Sauf à vouloir désarçonner la concurrence. En réalité, Caron et Fourest ont, comme disait l’autre, « un numéro de cirque : y’en a un qui épluche les oignons et l’autre qui pleure ».
Alors quoi, sexiste Aymeric Caron ? Certainement pas, il était tout aussi virulent et sournois face à des gens comme Zemmour, Naulleau, Dupont-Aignan ou Asselineau sans que Caroline Fourest ne s’en soit émue. Et il n’a pas épargné non plus Natacha Polony, ex-consœur, plus droitarde il est vrai. Pourquoi donc s’en est-il pris rageusement à quelqu’un qui travaille pour la même crèmerie ? Parce qu’une scission s’est opérée au sein de la gauche ces trente dernières années, scission dont Fourest et Caron témoignent dans leurs échanges. Et ce qui est particulièrement hypocrite chez Fourest, c’est qu’elle récolte aujourd’hui ce qu’elle a semé hier. Bien entendu, elle n’est pas nommément responsable de ce dont je vais faire état plus bas au sens où elle n’a rien initié ; lorsque la gauche est arrivée au pouvoir et que sa schizophrénie est devenue manifeste, Fourest, Caron, et moi-même d’ailleurs, étions encore tous trois au jardin d’enfants, elle jouant aux cowboys, nous autres à la marelle. Toutefois, elle est responsable car ses combats perpétuent le long processus de déracinement qui rend de nos jours la France incapable de faire face aux dangers qui la menacent et qu’elle couve.
L’esprit de gauche est né de l’ardent désir de changer le monde, de le rendre meilleur qu’il n’est. C’est un projet éminemment sympathique et on passe inévitablement pour un salopard lorsqu’on n’y souscrit pas sans réserve. Dans « changer le monde », il y a l’idée d’un mieux à venir conjuguée à celle d’une fraternité sans frontières. Dans « changer le monde », il y a donc un double appétit pour un perpétuel renouvellement « sociétal » et les cultures venues d’ailleurs. Dans « changer le monde » sont résumés les deux grands tropismes de l’esprit de gauche : le progressisme et l’exotisme. Le colonialisme qui – on ne le rappelle jamais assez – est une œuvre de gauche, combinait ces deux dimensions ; le dessein d’alors était de faire profiter les rustres du monde entier du génie de nos Lumières dont ils ne pouvaient être conscients ; le progressisme prétendait atteindre l’exotisme. Portées par l’espoir – et l’appel d’air – que suscite l’empire des droits de l’homme, ces deux tendances abstraites ont fini par faire la douloureuse expérience du réel. Et c’est dans la priorité à donner à l’une ou à l’autre (progressisme ou exotisme) que l’ensemble des meilleurs d’entre nous s’est finalement scindé en deux chapelles. D’un côté les inconditionnels du changement permanent, de l’autre les zélateurs d’un altruisme universel. Caroline Fourest fait partie des premiers, Aymeric Caron des seconds.
Voyons à présent comment, à partir d’un projet commun, ces belles âmes en sont venues à ne plus pouvoir se sentir. La gauche aura été le maître d’œuvre d’une entreprise de déconstruction à laquelle la droite a très souvent participé sous l’emprise d’une intimidation intellectuelle et morale. Parvenue au pouvoir, contrainte très tôt d’admettre son échec sur un plan économique, la gauche a donné le change sur un plan moral en agitant des épouvantails. La lutte contre le Front national, encore anodin, devenait l’occasion de légitimer une politique sans queue ni tête, aventureuse, arc-boutée à la vague idée de… « changer le monde ». Et afin d’assortir progressisme et exotisme, il a bien fallu que le premier réserve les plus grands égards au second, au point que la classe ouvrière et le monde rural, mannes instinctives de la gauche, s’en sont peu à peu détournés, relégués et remplacés dans les cœurs par les masses immigrées. L’immigré devenait ainsi le parangon de l’être asservi, celui dont il fallait défendre le droit à la différence, le remède contre la mesquinerie des Dupont Lajoie. Le « pays-des-droits-de-l’homme », lui, se transformait en auberge espagnole.
Lorsque l’on invite des coutumes lointaines à s’installer de manière monolithique sur un territoire déjà acquis à une culture locale, une incompréhension et un désintérêt réciproques finissent tôt ou tard par se faire jour. C’est une loi universelle que la France refuse d’admettre depuis une quarantaine d’années. Une acculturation doit être provoquée et elle ne peut l’être en disant aux nouveaux arrivants « faites comme chez vous ». Le seul moyen d’y parvenir n’est pas l’exaltation des droits – qui contentent mais ne rassemblent en aucune manière. Le seul moyen d’y parvenir est l’entretien affectif d’un dénominateur commun qui doit forcément davantage à l’autochtone qu’à l’immigré. La France lui a longtemps donné le nom générique de « nation ». Revenue des horreurs du colonialisme dont elle fait dorénavant porter le chapeau à la droite (qui parfois ne demande pas mieux), la gauche en a tiré les leçons, et plutôt que d’imposer le progressisme à l’exotisme, elle a changé son fusil d’épaule. C’est à présent l’exotisme qui est appelé à s’approprier le progressisme, fût-ce sur son propre sol, la « patrie des droits de l’homme », à la faveur d’une promesse de confort. Suspecte de lèse-charité, la nation aux parois trop étanches a été sabordée.
Caroline Fourest, plus encore qu’Aymeric Caron, aura compté au nombre des ingénieurs en sape. Allergique à toutes sortes d’assignations sociales et identitaires, le besoin de valeurs communes – blasphème mis à part – n’a jamais été l’aîné de ses soucis, toute à ses rêves d’une humanité hors-sol. Transcendance, racines, tradition, autorité, autant de mots qui l’insupportent, et auxquels, pourtant, le monde entier demeure sensible. L’Islam en particulier, lui que la gauche a accueilli à bras ouverts en lui permettant ainsi d’occuper, en tant que référent identitaire, la place laissée vacante par la francité, offerte en pâture au Front national. Et voilà à présent la dame qui s’étonne que l’exotisme prenne le pas sur le progressisme, que certains ne se sentent pas « Charlie » ou que d’autres puissent se mettre un chiffon sur la tête au nom des droits de l’homme ! Au moins Aymeric Caron est-il plus cohérent. Cohérent dans l’inconscience.
À la croisée du progressisme et de l’exotisme, le contenu de l’«antiracisme» est ainsi devenu pomme de discorde. Nous sommes en pleine farce, car en définitive, que sont les reproches que l’icône Fourest adresse à Caron l’histrion ? Ceux qu’une gauchiste qui continue de creuser des trous pour miner toute fondation fait à un gauchiste qui, lui, s’évertue à les boucher avec une infrastructure venue d’ailleurs.
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