Il faut lire Aymeric Caron


Il faut lire Aymeric Caron

aymeric caron ardissonInvité à l’émission de Thierry Ardisson « Salut les Terriens », où j’aurais rencontré Julien Dray et Aymeric Caron (AC), j’avais naturellement acheté le dernier livre de celui-ci pour savoir de quoi j’allais parler et batailler avec lui.

Ma seule venue étant déprogrammée, je l’ai lu sans être obsédé par la volonté de chercher noise à tout prix à son auteur. J’ai bien fait parce qu’il faut en effet lire AC.

D’abord parce que son silence, à l’exception de sa prestation du samedi soir, finissait par le constituer comme une victime au regard des multiples attaques dont il était l’objet, à commencer par moi qui tout de même à force me lassais de mon hostilité répétitive. Donc il a bien fait de réagir (si j’ose ce terme avec lui !).

Eric Naulleau, sans aucun doute, ne l’a pas laissé indifférent quand sur un mode sarcastique et drôle, il suggérait Nabilla pour remplacer Natacha Polony, par « souci d’homogénéité intellectuelle » avec AC.

Ces offenses surgies du même espace médiatique que celui où il officie ne pesaient guère au regard des insultes et des propos orduriers scandaleux dont il est accablé sur son site Internet, sur Twitter et sur Facebook. Pour éclairer le lecteur, il en donne un compte rendu non exhaustif et il a raison. Si cela peut le rassurer, même quelqu’un comme moi de beaucoup moins exposé a droit sur Twitter à sa dose d’insanités et de saletés. Il ne faut pas sous-estimer la vulgarité de certains pour qui les réseaux sociaux ne sont pas une opportunité d’expression mais de bêtise et de crachat.

Il faut lire AC parce que, sorti des contraintes d’On n’est pas couché avec Laurent Ruquier, il n’est plus masqué, il pourfend violemment ses contradicteurs, offre ostensiblement ses préjugés, son idéologie, ses partis pris et me semble paradoxalement beaucoup plus estimable avec ses polémiques frontales et ses partialités affichées que par le suintement perfide et orienté de ses questionnements télévisuels.

Son livre ne nous cache rien de lui et je n’imagine pas qu’il ait pu le publier s’il était assuré de sa survie dans l’émission de Laurent Ruquier, rendue peut-être problématique depuis ses propos coupés au montage, face à Alexandre Arcady, sur les enfants palestiniens tués par l’armée israélienne, qui l’ont conduit à se défendre avec vigueur de tout antisémitisme (Canal Plus).

Ces pages, en tout cas, le dévoilent. On saura au moins maintenant pourquoi, sans être stupide, on a le droit de ne pas aimer AC, les hostilités qui l’animent et son oeuvre.

Il me traite correctement puisqu’il se contente de me citer, au milieu de quelques autres, qualifiés au choix de néo-cons, de néo-réacs ou, au pire, de néo-fachos. Il m’honore en me plaçant, par exemple, aux côtés d’Alain Finkielkraut mais à l’évidence il ne comprend rien à mon positionnement puisqu’il m’impute un enfermement qui est aux antipodes de ma passion de la liberté, pour moi la vertu cardinale. Il m’inscrit dans un groupe auquel je me sens en grande partie étranger. Je ne suis pas plus emballé que lui par Renaud Camus et son Grand Remplacement ! Je refuse surtout d’être bridé par quoi que ce soit qui m’interdirait de franchir les frontières artificielles de la pensée et de la politique. M’enfermer, surtout pas !

Ce qui me frappe essentiellement dans cet essai qui tente de mêler les genres – de la polémique à la rigueur prétendue scientifique, de la dénonciation de « la Droite bobards » à un souci de vérité proclamé – tient justement au fait que les chiffres, les nombres, les pourcentages, l’approche multiple du réel, les analyses des faits divers et de leur représentation médiatique, les entretiens ne sont appréhendés, derrière une apparence objective, que par une sensibilité et une intelligence ayant d’emblée choisi leur camp qui n’est pas celui de la vérité complexe mais de l’unilatéralisme se piquant d’être documenté.

Il y a, derrière cette compréhension poussée à l’extrême et en gros pour ce qui vient subvertir au détail notre société ou représente une menace plausible pour elle, comme une forme de condescendance, voire de mépris, presque de haine. Pour des idées qui sont si scandaleusement aux antipodes des siennes. Pour ces sentiments, ces peurs qui sont si maladivement contradictoires avec sa tranquillité et sa béatitude humaniste. Pour ces personnalités qu’il se permet parfois de démolir avec telle ou telle référence à des attitudes physiques, ce qui n’est pas très élégant de sa part.

Ce hiatus est troublant qui conduit sans cesse, à la lecture d’un ouvrage qui contient une infinité de données intéressantes et le juste rappel de l’enquête pour éviter les mensonges médiatiques, à se demander pourquoi tant de partialité et de systématisme dans l’interprétation et les conclusions à chaque fois tirées alors que le vivier est si riche et appellerait une finesse et une ambiguïté à sa hauteur.

Imputant à ses adversaires un comportement simpliste et binaire – tout ce que je ne pense pas est caduc, tous ceux qui ne pensent pas comme moi sont dans l’erreur -, il tombe exactement dans le piège qu’il dénonce et se montre incapable de percevoir que, les réacs caricaturant les bobos, lui-même caricature les réacs ou qu’il prétend tels. Est-il donc tellement difficile d’admettre qu’un Alain Finkielkraut outragé par « un grand vide gesticulatoire » doit être respecté dans la mesure même où la morale républicaine, à laquelle tient AC, leur est commune mais qu’elle n’interdit nullement de poser les questions que le nouvel Académicien se pose et nous pose ? Ne peut-on en même temps répudier toute stigmatisation collective et s’inquiéter de son identité et de celle de son pays ? Pourquoi cette plénitude de la raison et du coeur serait-elle honteuse ?

Comment ne pas constater, chez AC, dans ce clivage délibérément sommaire entre le jour humaniste selon sa conception et la nuit réactionnaire selon son dénigrement, une grave faille qui se rapporte à son inaptitude à prendre tout en compte du réel – de ce qu’il est véritablement avec ses lumières, ses ombres, ses risques et ses chances ?

Il est naturel qu’il sanctifie les spécialistes qu’il a sélectionnés pour mieux accabler ceux qu’il récuse – par exemple, Laurent Mucchielli et Christian Mouhanna contre le détesté Alain Bauer – mais il est amusant de les voir créditer d’une fiabilité absolue parce que, coup de chance, ils approuvent les conclusions qu’AC a déjà programmées. Reste que l’entretien avec ces deux personnalités peut utilement compléter une vision plus vigoureuse et moins statistiquement compassionnelle de la société. Au moins ils ne sont pas délirants comme le belge François Gemenne élucubrant « sur les fantasmes liés à l’immigration » !

Au fond, AC aurait pu écrire un excellent livre s’il ne l’avait pas encombré de lui-même et de ses détestations personnelles. Jean Birnbaum, l’admirateur le plus précoce de son essai, ne s’y est pas trompé puisqu’il n’y a vu que la vitupération ! Il s’est donné un trop beau rôle en mélangeant tout et en n’expliquant pas grand-chose sauf à admettre que, la vérité étant forcément de son côté, le lecteur n’avait qu’à lui emboîter l’esprit !

J’aurais apprécié, par exemple, qu’il prît la peine de nous démontrer pourquoi il convenait forcément de se moquer d’un certain nombre d’affirmations majoritaires tournées en dérision sous la rubrique des « nouveaux bien-pensants » ou de citations « de la France décomplexée ».

Un conseil. Il n’a jamais voulu répondre à l’invitation d’Eric Zemmour et d’Eric Naulleau à cause de ce dernier si j’ai bien saisi. Il a tort. La présence est une circonstance atténuante et la contradiction un défi à relever.

Je remercie AC d’avoir écrit ce livre. Il faut le lire. Mais Je ne veux pas tomber dans le panneau qu’il nous tend car ce serait lui complaire que de refuser la nuance. Je suis heureux d’avoir été un lecteur attentif.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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