Avocate spécialiste du droit du travail, Me Isabelle Ayache-Revah est régulièrement sollicitée par des entreprises confrontée à des cas de harcèlement sexuel entre employés. Très concernée par le sujet, le conseil désapprouve pourtant la campagne de délation #Balancetonporc. Entretien.
Daoud Boughezala. Souvent confrontée à des cas de harcèlement sexuel en entreprise, avez-vous une définition claire et objective de ce délit ?
Isabelle Ayache-Revah[tooltips content=’avocate associée Raphaël avocats/Dixit Raphaël »]1[/tooltips]. Les entreprises font appel à moi quand elles doivent faire face à un problème de harcèlement (moral ou sexuel) en leur sein. D’après le Code du travail, le harcèlement sexuel concerne des comportements ou des propos répétés à connotation sexuelle qui portent atteinte à la dignité de l’individu et peuvent créer une situation offensante, hostile et intimidante. Est également assimilée au harcèlement sexuel toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle. Il peut donc s’agir de gestes, de regards, de photos, de messages, de blagues graveleuses, de sms, de faux compliments répétés et insistants, etc.
Qu’est-ce qui sépare la lourdeur ou la maladresse du harcèlement ? La frontière me paraît floue…
Tout cela est très subjectif. Au fond, l’important est dans la perception des choses. Si un individu veut faire la cour à une de ses collègues, il va essayer de faire comprendre son attraction. Harceler, ce n’est pas simplement essayer de faire la causette avec quelqu’un mais insister. La notion de répétition est importante, elle n’est exclue que dans les cas plus graves. Harceler, ce n’est pas faire un compliment mais tomber dans quelque chose d’intrusif, une attitude qui vise à intimider l’autre, à le désarçonner, à l’offenser.
Le harcèlement est une forme d’agression, soit parce qu’il est répété, soit parce qu’on passe à l’acte par un geste
Un amoureux maladroit peut sembler intrusif et trop entreprenant à la femme qu’il convoite, sans forcément chercher à mal. Comment échapper à ce genre de malentendu ?
Il est bien évidemment impossible de codifier par la loi tous les comportements humains. En principe, quand vous entreprenez une démarche en direction d’un individu, l’autre doit être d’accord. Un compliment, un regard, un sourire, ce n’est pas du harcèlement. Le harcèlement est une forme d’agression, soit parce qu’il est répété, soit parce qu’on passe à l’acte par un geste : on entre par la force dans la sphère privée de l’autre.
Avec tout ce qu’on lit autour du phénomène « Balance ton porc », on a l’impression que tout pourrait relever du harcèlement. Je trouve cela choquant.
La campagne Twitter #Balancetonporc dénonce-t-elle tout et n’importe quoi, du quasi-viol au regard du travers ?
Oui. Je trouve cette campagne de délation d’une hypocrisie incroyable. On fait semblant de découvrir le harcèlement, quitte d’ailleurs à mélanger des situations qui n’ont rien à voir. Je ne crois pas que dans les entreprises en France cela aille si mal que ça, même si la route peut paraître longue. Il y a des personnes harcelées et des comportements à sanctionner mais la situation ne s’aggrave pas. Quoiqu’en pense certains, elle s’améliore dans beaucoup d’entreprises grâce au travail de prévention et de sanction. On n’a souhaité interroger que des femmes, ce qui est une affreuse erreur à mes yeux. Il est faux et choquant de dire et de lire qu’en général les femmes harcelées ne sont pas entendues, ni en mesure d’être défendues. Il y a évidemment davantage de femmes harcelées mais il y a également des hommes harcelés. Il y a également des hommes victimes d’autres hommes ou d’autres femmes. J’en ai déjà plaidés. Comment défendre les victimes de harcèlement ? Pour les défendre, on les écoute, on mène une enquête sérieuse, on se débarrasse des harceleurs sans ménagement et on fait en sorte que la personne harcelée retrouve un emploi ou garde le sien pour évoluer dans un environnement plus paisible. Elle a été écoutée et entendue, elle est donc défendue.
La RATP est confrontée à des problèmes caricaturaux, s’agissant des hommes qui, par principe religieux ou culturel, refusent tout contact avec une femme.
Le tribunal n’est-il pas un lieu plus approprié pour dénoncer les cas de harcèlements ?
La bataille à mener n’est pas que judiciaire. On nous explique que le procès est la panacée mais le harcèlement sexuel ne se combat pas uniquement devant les juridictions ! Il se combat par l’éducation, le courage et le civisme. Dans certaines banlieues et certains quartiers, même si tous ne veulent pas toujours en parler, la situation que certains et certaines vivent est invraisemblable. Par exemple, la RATP est confrontée à des problèmes caricaturaux, s’agissant des hommes qui, par principe religieux ou culturel, refusent tout contact avec une femme. Ce n’est pas devant les juridictions que j’emporte la victoire mais en faisant de la prévention concrète à grâce à des cas pratiques et en sanctionnant. A lire tous ces articles, on a l’impression qu’il n’y a qu’une seule voie pour les personnes harcelées : engager une action judiciaire devant le Conseil des prud’hommes ou le tribunal correctionnel. Mais quand vous en arrivez là, ça signifie que cela fait des années que vous ne dormez plus. Dans Le Monde, j’ai lu des entretiens qui laissent entendre que l’entreprise tout entière est indifférente au harcèlement. C’est complètement faux. On dispose de tout un arsenal dans les entreprises de taille moyenne ou grande : des explications, une capacité d’écoute de la direction des ressources humaines qui gère la quasi-totalité des dossiers de harcèlement. L’entreprise n’est pas passive.
Des cadres de direction, des ouvriers, l’industrie et la banque subissent tous le harcèlement sexuel.
Quels secteurs sont les plus touchés par le harcèlement sexuel au travail ?
Dans certains secteurs d’activité, qui sont les plus masculins, les gens se permettent plus de choses. Quand on examine les profils des auteurs de harcèlement, on s’aperçoit que cela touche des milieux sociaux assez variés. Idem pour les victimes, qui occupent un spectre social très large. Beaucoup croient spontanément que ce sont plutôt les diplômés ou les cadres qui harcèlent les secrétaires. Cette description est loin de la réalité de terrain: des cadres de direction, des ouvriers, l’industrie et la banque subissent tous le harcèlement sexuel. Il n’y a pas de géographie du harcèlement mais différents types de harcèlement.
C’est-à-dire ?
Il y a deux grands schémas. Soit on est face à des comportements individuels, comme une affaire récente que j’ai traitée. Un employé envoyait ainsi des photos de lui nu à certaines femmes de l’entreprise.
Soit on observe un second type de harcèlement : la pression d’un groupe entier dans l’entreprise qui finit par créer crée une espèce de harcèlement d’ambiance. Cela peut passer par des blagues obscènes racontées pendant des déjeuners d’équipe.
Dans ce second type, un individu se permet un peu plus que le groupe. Dans ces cas-là, l’entreprise doit s’interroger sur la déviance du groupe. A l’Assemblée nationale, des députés avaient sifflé Cécile Duflot alors ministre parce qu’elle portait une robe à fleurs, c’est totalement inadmissible ! Dans certaines entreprises, on retrouve cette ambiance qui peut autoriser des esprits un peu moins forts à franchir le pas. C’est là où le travail de prévention est important. Dans certains services, dans des salles de marché ou des secteurs comme le bâtiment, on peut autoriser par exemple l’affichage de calendriers de femmes dénudées, de caricatures, de billets d’humeur. Cela crée un environnement propice au dérapage. C’est là que l’entreprise doit intervenir en menant des campagnes de prévention où les comportements prohibés doivent être décrits et les sanctions explicitées.
Dans certaines entreprises, des dessins censés être drôles montrent systématiquement un des deux sexes brimés.
… en proscrivant les calendriers de femmes nues ! A vous écouter, il faudrait imposer un cadre monacal au bureau pour éviter tout « dérapage ». Faut-il interdire les posters de camionneurs ?
Bien sûr que non. Le camionneur dort tout seul dans son camion. Si ça lui fait plaisir de s’endormir en regardant la photo d’une femme nue, c’est son problème et peut-être celui de son épouse ! Que grand bien lui fasse. Mais dans certaines entreprises, des dessins censés être drôles montrent systématiquement un des deux sexes brimés. Cela signifie qu’on autorise une image de la femme susceptible de laisser la porte ouverte aux comportements harceleurs.
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