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Avortement : Joyce Carol Oates, prophète en son pays

My body no choice


Avortement : Joyce Carol Oates, prophète en son pays
Des manifestants en faveur de l'avortement brandissant des pancartes lors d'une manifestation devant la Cour suprême, Washingto, Etats-Unis / Jemal Countess/UPI/Shutterstock/SIPA

Le 24 juin, la Cour suprême annulait l’arrêt Roe vs Wade qui soutenait depuis 1973 le droit à l’avortement. Alors que le monde tendait vers un mouvement progressiste, les Etats-Unis optent pour l’option conservatrice.


En interdisant l’avortement au début de l’été, la Cour suprême des États-Unis a créé un tremblement de terre juridique qui a sidéré une bonne partie du monde, mais aussi de la population étasunienne : « C’est devenu quasiment impossible de faire mon métier. J’ai l’impression de vivre une dystopie », déclarait sur le site de France 24 Tom, médecin venu s’installer au Texas quelques années auparavant, pour aider les femmes, précisément parce qu’« aucun endroit n’était plus compliqué qu’ici pour avorter ».

C’était écrit ?

Ce n’est pas une dystopie qu’a écrite en 2017 Joyce Carol Oates, 84 ans, la papesse des lettres américaines, dans Un livre de martyrs américains, mais plutôt un roman prophétique dans lequel un chrétien fondamentaliste exécute le Dr Gus Voorhees, qui n’est pas sans rappeler Tom. À travers l’histoire des familles des deux hommes, c’est une guerre des religions qui est dépeinte. Voorhees et son assassin, Luther Dunphy, sont animés par une foi qui les rend impitoyables, chacun à leur manière: tous deux sont convaincus d’incarner le Bien. Ainsi, le portrait de Gus Voorhees pourrait être celui de Luther Dunphy – qui finit exécuté : « Un homme si convaincu de la bonté et de la justice de sa mission qu’il ne peut comprendre qu’on soit en désaccord avec lui, et encore moins qu’on veuille lui nuire ou le tuer. » Cette dimension explique les témoignages recueillis lors du référendum au Kansas, État très conservateur qui, à la surprise des deux camps, a maintenu le droit à l’avortement le 4 août dernier. Les partisans du maintien n’ont pas nécessairement voté pour l’avortement, mais pour refuser « un amendement imposant un contrôle gouvernemental sur les décisions médicales privées », explique une responsable de la campagne pro-choice, tandis que Christine Vasquez, 43 ans, dit qu’elle a « voté pour qu’il n’y ait aucun avortement. Je pense que la vie commence à la conception. » Arguments théologiques à l’appui.

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Ce que Oates saisit prophétiquement dans son roman, c’est un changement de stratégie de la galaxie pro-life, qui aboutit à la décision de la Cour suprême. Dunphy, l’assassin, appartient déjà au passé quand il est dans le couloir de la mort et que le directeur de la prison témoigne : « Ce pauvre type ne semblait pas savoir que l’opinion publique penchait maintenant pour des lois, pour faire pression sur les hommes politiques, pas pour attaquer des centres d’avortement ni tirer sur les gens. Rendre l’avortement illégal, voilà le but. » Quinze ans plus tard, il est atteint.

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Septembre 2022 - Causeur #104

Article extrait du Magazine Causeur




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