Le Sénat, après l’Assemblée Nationale, vient d’adopter le projet de loi qui vise à inscrire à l’article 34 de la Constitution que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Le 4 mars, le chef de l’État réunira à Versailles le congrès pour entériner la constitutionnalisation du droit à l’avortement sous la condition d’une majorité des trois cinquièmes favorable à une telle mesure. Les feuilles ont volé, les cravates se sont agitées dans l’hémicycle et c’est une grande partie des sénateurs qui a accueilli avec liesse ce vote comme si, d’un coup, on venait de sortir de plusieurs siècles d’obscurantisme et de servitude et qu’enfin les lumières de la raison et des Droits de l’Homme étaient venus allumer une société rétrograde et patriarcale.
La menace fantôme
Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, se satisfait de cette « nouvelle page du droit des femmes ». En quoi est-ce si nouveau ? Le droit à l’avortement en France n’est pas menacé, il peut être contesté mais la Constitution elle-même ne garantit-elle pas la liberté de conscience ? Le ministre de la Justice, en bon avocat, anticipe : « Immédiatement l’avortement n’est pas menacé, mais il ne faudrait pas qu’il le soit ». Et niveau anticipation, le gouvernement en connaît un rayon : on l’a vu avec le vaccin et les masques.
Bref : il y avait, semble-t-il, urgence à graver dans le marbre de la Constitution le droit à l’avortement. Mais d’où venait la menace ? Il faut nous replonger presque deux ans en arrière pour y voir plus clair.
Le 24 juin 2022, la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer la jurisprudence « Roe v. Wade », qui garantissait le droit constitutionnel à l’avortement dans l’ensemble des États-Unis, avait provoqué un tollé d’indignation. Il ne s’agissait cependant pas de l’abolir, comme il a été entendu, mais d’en confier la gestion à chaque Etat, la plupart étant, il est vrai, assez conservateurs sur ce sujet. En France, les personnes disposant d’un utérus (je ne souhaite pas faire de discriminations ou être cataloguée parmi les TERF…) s’étaient regardé le nombril, en se demandant quel avenir serait désormais celui de leurs ovocytes, ignorant sans doute qu’elles ne vivent ni au Texas, ni dans le Wyoming.

La classe politique avait usé de toute la palette du champ lexical de l’épouvante pour qualifier cette mesure, et la sororité féministe pleurait à chaudes larmes sur le sort des Américaines, alarmant leurs concitoyennes sur la défense d’un droit qui n’est pourtant, ici, nullement menacé.
Le président Emmanuel Macron avait tweeté d’emblée que « l’avortement est un droit fondamental pour
