Accueil Édition Abonné Décembre 2022 La droite gaulliste peut-elle disparaître ?

La droite gaulliste peut-elle disparaître ?

La plume au vent, la chronique de Frédéric Ferney


La droite gaulliste peut-elle disparaître ?
Eric Ciotti au siège des Républicains, lors de son élection à la tête du parti, 11 décembre 2022 © Jacques Witt/SIPA

Humiliée par la défaite de Pécresse, abandonnée par Sarkozy, affaiblie par ses querelles internes et par trois échecs à l’élection présidentielle, la droite « gaulliste » incarnée par Les Républicains est-elle menacée d’effacement ?


Un chef, vite !… mais pour quoi faire ?

On doit à Robespierre un madrigal et à Bonaparte un conte [1] – la politique en France n’est plus ce qu’elle était ! Au point où on en est, on rêverait que nos hommes politiques soient des écrivains ratés comme Pompidou. Des aventuriers comme Chateaubriand. Des voyants comme Malraux. Des hommes qui savent la France et les Français. « Ce ne sont pas les empires qui durent, prédisait l’auteur des Antimémoires, ce sont les nations. »

Ça reste un sujet.

Comment limiter les effets d’une immigration incontrôlée et les dangers du multiculturalisme sans sombrer dans l’utopie d’un nationalisme intégral ? Et cela, sans se haïr, sans se déshonorer ! C’est la question que se posent les Français, et l’enjeu de la lutte qui sera encore plus sauvage demain. Macron n’en peut mais. La gauche s’en fiche. Le RN ne convainc que les faibles et les naïfs. Darmanin déçoit. Seule la droite peut répondre.

La France, sinon quoi ?

Dessin © Soleil

Dans une de ces allocutions télévisées où il se montrait souverain avec emphase et bonhomie, le général de Gaulle déclarait en 1965 : « La France, c’est tout à la fois, c’est tous les Français ! C’est pas la gauche, la France !… (sic) C’est pas la droite, la France !… (sic) Maintenant comme toujours, je ne suis pas d’un côté, je ne suis pas de l’autre, je suis pour la France. »

La France, c’était ce qui lui rendait le monde plus intelligible – ce par quoi tout devient vrai. Avec lui pesait sur nos têtes le joug de l’idéal ; dans sa rêverie, Marianne avait le visage d’une Madone. De Gaulle reliait par un pacte séculaire, et par une promiscuité douce, le peuple et la nation, la grandeur et la fierté, le faste et l’esbroufe. Il ne faisait pas que mentir. Il savait rassembler, élargir son camp – et parfois, astuce suprême, surprendre jusque dans son propre parti. Est-ce trop demander aux LR aujourd’hui ?

Avec cela, s’il était certes peu désireux de voir son cher et vieux village devenir « Colombey-les-Deux-Mosquées », cet ancien lecteur de Maurras n’était ni antisémite ni islamophobe. Réfractaire à l’ethnique, il ne s’exaltait pas des prestiges de la race et du sang. Rien de bas. Ni de droite ni de gauche, et encore moins au centre – juste plus haut. Se hisser, même vaincu, au-dessus des tentations louches, est-ce encore possible ?

Si j’étais gaulliste, je serais en colère.

Même parmi ses adversaires, on ne pouvait douter de sa probité – cette pointe de vertu qui réduisait ses opposants au silence. Aujourd’hui, quand Macron dit en gros la même chose, personne ne le croit, pas même ses amis. Il a beau hurler « Allez les Bleus ! » et appeler Mbappé « Cher Kylian », son agenda semble moins dicté par la dévotion que par l’opportunisme.

Nous en sommes là.

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Puisque la gauche, et singulièrement le Parti socialiste, nous a quittés en épousant les postures aussi puériles que vindicatives de Mélenchon, parlons un peu de la droite. Va-t-elle à son tour se saborder et disparaître ? Peut-elle retrouver une audience ou va-t-elle se dissoudre entre deux rives – au choix, dans les eaux grises du macronisme ou dans les sables mouvants du lepénisme ? Peut-elle guérir de sa mélancolie ? C’est l’objet du futur congrès du parti Les Républicains où sera désigné début décembre un nouveau président.

Pour quoi faire ?

Qu’attendre, me direz-vous, de cette onction, de ce sacre infime qui a déjà l’allure d’un épilogue ? Car il ne s’agit pas de choisir un maître ni un guide, ni même un capitaine. Au mieux un guetteur de fumées. Il devra faire mieux que son prédécesseur, Christian Jacob, qui se contentait de bredouiller devant le cercueil : « Le parti n’est pas mort ! » Il devra moins régner que faire les comptes, ce qui n’est pas folichon. Beaucoup l’ont déjà compris, Édouard Philippe et Laurent Wauquiez après Macron l’avaient plus que subodoré : les partis sous la Ve République ne sont plus l’antichambre du pouvoir. Ce sont des canots de sauvetage, utiles par gros temps – mais où sont les bouées ?

En lice, donc : Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, finaliste de la primaire en 2021, le favori des militants, enclin à pactiser en douce avec le RN ; Bruno Retailleau, sénateur de Vendée et président de son groupe au Sénat, qui veut changer la « marque LR », mais demeure un Fillonien, prêt à séduire les cathos énervés ; Aurélien Pradié, secrétaire général du parti et député du Lot, le jeune-turc, l’outsider, qui songe d’abord à tenir la boutique et rembourser les dettes. Un boulot à plein temps, selon lui.

Ce qui les sépare, hormis leur ego, semble anecdotique.

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Du gaullisme, que chaque candidat invoque, ne subsiste qu’une distraite allégeance, une ombre portée, et une faible rente. Ils sont au moins d’accord sur le constat : « Assez déconné ! » Pour le reste, si ces trois hommes sont très dissemblables, leurs programmes sont presque identiques. Ils savent qu’il leur est interdit de se traiter en public de gredins, mais dans une campagne âpre, forcément âpre, comment se distinguer sans se faire haïr de ses amis ? Lors de leur premier débat sur LCI, Aurélien Pradié a surpris ses deux compères : il a été maire et sapeur-pompier, il a un frère boulanger, pas eux ! Et toc ! Ciotti et Retailleau qui n’ont pas un passé d’homme-grenouille, d’apiculteur ou de brancardier n’ont pas su quoi répondre à cet impertinent.

Ciotti est soutenu par Wauquiez, Retailleau par Larcher et Bellamy, Pradié par Xavier Bertrand. Un peu comme la corde soutient le pendu. Fragilisés par trois échecs consécutifs à l’élection présidentielle, abandonnés par Sarkozy qui a été le fossoyeur de leur mouvement (comme Mitterrand l’a été du PS), les Républicains veulent se ressaisir. Comment ? Ce ne sera pas simple. Il leur faut rompre avec le regret de ce qu’ils furent (et le dégoût de ce qu’ils sont) en cessant de croire à une improbable Restauration, c’est-à-dire en apprenant à être minoritaires. Et dire que les Français, c’est un comble !, n’ont jamais autant penché à droite.

Dans ce pays, malgré les révolutions, on reste des conservateurs. Le Parti communiste français survit depuis un siècle – si Fabien Roussel est sympa, il leur donnera des conseils.


[1] Dans sa jeunesse, Bonaparte a écrit un conte romantique intitulé Clisson et Eugénie inspiré de sa liaison avec Désirée Clary (et dans la forme par Ossian). Et Robespierre a en effet écrit à ses heures perdues quelques poèmes.

Décembre 2022 - Causeur #107

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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